Autodétermination : stop ou encore ?
On ne peut pas
être « contre » l’autodétermination. De même qu’on ne peut être
contre le bonheur ou le développement personnel. Cela interdit-il d’interroger
le concept et son utilisation, et d’en faire la critique ? Il y a en effet
quelque chose d’étrange, pour ne pas dire de suspect, dans la ruée
institutionnelle dont la notion a fait l’objet dans la période récente. Il y a
quelques années, on n’en parlait pas encore (longtemps la notion d’autonomie a
prévalu) ; aujourd’hui elle est devenue la référence incontournable, le
mot d’ordre suprême, la voie hors de laquelle on mérite l’enfer. Certes
l’utilisation invasive du terme a le mérite de mettre la question à l’agenda, de
faire advenir une réalité qui sera indiscutable. C’est l’objet d’un langage
performatif, de faire advenir des réalités, d’orienter les pensées et les
actions vers ce qui est affirmé.
Selon les
significations qu’on lui donne, l’autodétermination peut de facto être
discriminatoire, et excluante. A donner à l’autodétermination une valeur aussi
absolue, on prend le risque de discrimination, avec l’effet de séparer ceux qui
seraient en capacité de s’autodéterminer, et ceux qui ne seraient pas en
capacité. Là aussi, il y a « ceux qui ne sont rien ». La catégorie de
ceux qui ne méritent pas les préoccupations de la société va grossir : aux
assistés, à ceux qui ne prennent pas leurs responsabilités ou d’initiatives,
aux moins flexibles, aux déclassés, s’ajouteront ceux qui ne peuvent manifester
leur autodétermination.
Si tout le monde
s’accorde à affirmer qu’il n’y a pas d’autodétermination absolue, les objectifs
d’accompagnement à l’autodétermination sont bien souvent organisés autour du
développement personnel de la personne, nécessitant le développement de
capacités personnelles. Ce type d’objectifs rabat les problématiques sur
l’amélioration de la personne, et sur ses capacités à prendre en charge les
améliorations nécessaires. Les atteintes d’objectifs étant des critères
d’évaluation, la personne qui atteindra l’objectif aura davantage de
« valeur » humaine qu’une personne dont l’autodétermination peine à
s’exprimer. Il n’empêche : une hiérarchie est établie selon laquelle les
personnes qui font preuve d’autodétermination ont davantage de valeur que les
autres : ceux qui entreprennent, décident, sont responsables, ont une
image bien plus positive en termes de valeur humaine que ceux qui obéissent, se
soumettent, ont besoin de protection ou sont vulnérables, … les
« assistés ». Comme si la vie humaine n’était faite que de l’idéal
des premières caractéristiques. Se laisse aller, se laisser servir, ou plus
gravement être aidé, se délester de ses responsabilités et charges, bref ne
plus s’autodéterminer est dévalorisé.
Être critique sur l’autodétermination
et sur les manières dont ce concept se déploie comme norme et vérité auxquelles
il convient d’adhérer de manière absolue, de s’acculturer, est considéré comme
« résistance », considérée négativement. La résistance en tant que
telle, scientifiquement, philosophiquement, politiquement, est ambivalente :
certaines résistances ont été à la source de progrès. Mais ici, la résistance
est résistance au changement, celui-ci étant conçu unilatéralement comme
progrès. Le changement étant institué comme progrès, la résistance, ou la
critique, est renvoyée au passé, à ce qui se faisait avant, voire dans le
contexte social à des pratiques considérées comme archaïques, non désirables,
malveillantes, maltraitantes. Cette dichotomie radicale et violente opposant
résistance/archaïsme/critique et adhésion/changement/progrès empêche
intellectuellement de penser, d’élaborer une pensée critique, de se
responsabiliser dans ses pratiques, pour ne donner comme possibilité que celle
d’adhérer à des normes identifiées à des changements. Effectivement, il y a des
changements, la plupart du temps positifs, dans les rapports entre les
professionnels et les usagers par exemple, ou dans l’organisation des services.
L’autodétermination, à ce titre, devient une norme universalisée comme
« bien » technique et social, à laquelle tout un chacun n’a d’autre
choix que de manifester son adhésion non critique.