Ils sont étranges, les experts !
Etranges sont les experts des politiques publiques de santé ou médicosociales. Ils discourent, avec beaucoup de convictions, sur l’importance de la prise en main, par les personnes concernées, de leur vie, de leurs projets, de leur autonomie. L’autodétermination, le pouvoir d’agir, l’expertise expérientielle de la pair-aidance sont valorisés, au moins dans les principes. Ils souhaitent sincèrement que la société évolue en conformité avec leurs principes idéologiques, leur manière de penser les choses, qu’ils estiment bien naturellement être les meilleurs. Dans ce dispositif, ces experts œuvrent pour favoriser une meilleure place dans la société pour les personnes en situation de handicap, en développant les notions et les perspectives d’autonomie, d’autodétermination, d’empowerment, de responsabilité, de participation…
Mais ils semblent ne savoir le faire que « par autorité », de manière verticale, en décrétant du haut de leur expertise, ce qui est bon pour les autres, « pour leur bien ». Cette posture est bien évidemment logique, puisque ils ont la conviction que leurs normes, leurs pensées, leurs représentations sont justes et pertinentes, qu’elles gomment les inconvénients et les injustices d’avant. Et qu’il est naturel que les autres, les non experts, se soumettent à ce qu’ils énoncent. Ils allèguent avec autant de force les vérités des droits des personnes handicapées de la convention onusienne que celles de la performance et des règles d’économies de ressources issues du management néolibéral des organisations publiques. Ils savent invoquer les orientations des politiques publiques, et révoquer les réalités professionnelles vécues et expérimentées par ces professionnels de terrain, considérés comme les représentants de pratiques anciennes et réprouvées qu’il faudrait éradiquer.
Ils instituent, par nature, de la posture et la place
sociale de leur expertise, une discontinuité radicale entre les sachants et les
non sachants, ceux-ci devant attendre des premiers qu’il leur soit dit et
défini ce qu’ils ont à faire. Pour les experts, le monde est divisé en
deux : ceux qui savent et qui doivent éclairer de leurs lumières tous les
autres, et … les autres, qui ne savent pas. L’expertise est sans cesse édifiée
du haut du savoir et du pouvoir octroyés à ceux dont la formation, les études,
les opportunités ou la place sociale ont placés à des postes les instituant
comme experts, dont les conditions d’existence et de participation (et
d’adhésion) tiennent à l’hégémonie de pensée de ceux qui détiennent le pouvoir.
Ils n’ont pas à écouter ou à se préoccuper des opinions ou
des pratiques des autres, par nature non pertinents puisque émises par des non
sachants : en bons technocrates, seule compte leur expertise. Ils
produisent ainsi des milliers de pages de recommandations de bonnes pratiques, des
dossiers d’organisation d’offre de services et des règles de mise en œuvre, des
nomenclatures de besoins, de prestations et d’activités, des référentiels
qualité, des tableurs Excel, des acronymes en quantité, des protocoles partagés,
pour nommer de nouvelles orientations
politiques reprenant à leur compte les anciennes… Les voix discordantes ou
dissonantes ne leur sont d’aucune valeur, renvoyées soit à un sombre passé dont
il faut s’éloigner, soit à une utopie illusoire (la critique des positions
anti-validistes en est une illustration)
Ils ne voient aucune contradiction entre leur pratique de
non partage de pouvoir (ils ont toujours raison au nom de leur expertise) et
l’exhortation à la prise de pouvoir par les autres (autodétermination et empowerment
pour les personnes concernées ; les professionnels quant à eux sont
réduits à une simple attitude d’adhésion). A tel point que parfois le langage
utilisé ne veut plus rien dire, un peu à la manière de ces politiciens qui se
réclament de la démocratie tout en ayant de cesse d’en limiter l’exercice, qui
invoquent la justice tout en accentuant les injustices, qui allèguent de
l’égalité tout en accroissant les inégalités. Ils sont bien étranges ces
experts.
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