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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 6 mars 2024

les besoins : une notion piège

Les besoins : une notion piège

Sous le prétexte, légitime, de tenir compte de la personne concernée, de la mettre au centre de son projet, c’est la notion de besoin qui a émergé et défini les réponses d’accompagnement. Il s’agit dorénavant de répondre aux besoins de la personne en situation de handicap, et lieu et place de lui fournir une « institution », un kit de prestations préprogrammées, organisées institutionnellement, identiques pour tous. Il est admis aujourd’hui que chacun, que chaque individu puisse avoir des réponses individualisées ou personnalisées à des besoins eux-mêmes individualisés. La prise en considération d’une telle perspective a certainement renversé, au moins en partie, le rapport entre les personnes concernées et les « prestataires », dans le sens d’une plus grande autodétermination des personnes : je ne subis plus (ou moins) la décision des professionnels et de leurs institutions, je donne mon avis, je manifeste mes besoins, je prends la parole, je (co-)élabore mon projet d’accompagnement…

Toutefois, l’utilisation de la notion de besoin montre ses limites dans la perspective de participation sociale et d’égalité des droits. En premier lieu, la convocation d’une telle notion institue, pour les personnes concernées, comme un état naturel et ontologique de distance, de manque, d’écart, relativement à des personnes qui n’auraient pas de tels besoins, ceux-ci étant satisfaits dans le monde des « normaux ». Une personne handicapée serait une personne qui manifeste un écart (en moins) avec les personnes « normalement constituées », une personne qui a des besoins. Les besoins des personnes dites « valides », si tant est qu’elles en aient, ne sont pas de même nature que ceux de la première, à qui il manquerait fondamentalement quelque chose et qu’il s’agirait de combler par des prestations adaptées. Considérer l’être humain comme un être de besoins, expression d’un manque à combler, induit une conception inégalitaire des êtres humains, à rebours d’une conception convoquant la diversité et les différences de fonctionnement des êtres humains, sans que ces différences soient des manques, mais une autre manière d’être. Il est des besoins de la norme que certaines personnes (handicapées ou non) n’ont nulle envie de satisfaire.

Cet état d’écart, de manque, confère une inégalité de statut entre la personne qui a un tel besoin et celle qui l’accompagne. Il est institué par cette notion une certaine forme de pouvoir, important, aux institutions ou aux professionnels, chargés de recueillir et d’identifier ces besoins, et d’y apporter une réponse dont ils possèdent les clés. Cette problématique est accentuée par les contraintes de nomenclatures de besoins et de prestations, présentes dans l’actuelle réforme du secteur médico-social (SERAFIN-PH). Par ailleurs, et on le voit bien à travers les expériences vécues par les personnes concernées, la référence aux besoins donne lieu à toutes les dérives possibles. C’est au nom de ses besoins qu’un enfant peut être orienté vers des structures spécialisées pour des enfants handicapés. C’est au nom de ses besoins qu’un travailleur est orienté vers le travail protégé.  Autrement dit, la notion de besoin donne la possibilité de ségrégation et de discrimination.

En mettant en avant la notion de besoin, on met en arrière-plan, voire on ignore, la notion fondamentale de droit, droit humain en général, et droit des personnes handicapées en particulier (convention ONU).  La notion de droit n’identifie pas d’écart de nature avec la norme, mais l’absence d’accessibilité des personnes à des droits auxquels accèdent la plupart des personnes. Un enfant a d’abord le droit d’être scolarisé comme tous les autres enfants : ce n’est que dans un second temps qu’il y a lieu de s’interroger sur les conditions, au niveau de l’enfant concerné et au niveau de son environnement scolaire, qui vont permettre de mettre en œuvre la scolarisation. Là pourrait-on peut-être parler des besoins, ceux de l’enfant et ceux de l’environnement. La priorisation de la notion de besoin est sans doute un reliquat d’une approche individuelle dépréciative, au détriment d’une approche politique de l’accessibilité et du droit.

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