biographie

Ma photo
Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

lundi 20 novembre 2023

"convaincer les acteurs"

"Convaincre les acteurs ..."

Qui n’a entendu cette formule « magique », sans besoin de s’interroger sur sa pertinence et sa légitimité, tant la banalité de la formulation est une évidence des rapports humains. Dans un débat où les interlocuteurs sont sur un pied d’égalité, lorsque les opinions divergent, chacun des interlocuteurs va tenter de convaincre l’autre de ses arguments, de sa bonne foi, de ses convictions. Là où les choses sont davantage nuancées, et à interroger, c’est lorsque l’action de convaincre se tient entre des interlocuteurs dans une relation de domination, et en particulier lorsque c’est le dominant qui tente ou veut convaincre celui qui est dominé. Il y a là une situation d’inégalité qui donne avantage à celui qui domine : son pouvoir se manifeste par une plus grande légitimité de ses positions, de ses arguments, de sa raison, de ses droits… Convaincre, dans ces conditions, c’est faire adhérer, parfois par la force (il n’est que d’observer la situation politique et sociale actuelle). Mais faire adhérer, c’est quelque part désapproprier la personne dominée de son autodétermination, puisque le rapport de pouvoir ne lui donne pas d’autre choix, sauf celui de la résistance ou de l’insoumission, qui s’oppose à la volonté de convaincre.

C’est pourtant dans une telle inégalité de positions que j’ai pu lire, sur les réseaux sociaux, sous la plume d’un responsable du chantier SERAFIN-PH qu’il fallait « convaincre les acteurs médico-sociaux » lorsque le chantier de réflexion et d’ajustement serait achevé. L’aveu est là : il y a des personnes qui réfléchissent, qui travaillent, qui pensent, qui font évoluer le projet, et d’autres qui en sont exclus, et dont le destin sera d’adhérer au projet lorsqu’il sera ficelé. La réflexion certes se fait, continue cette personne, dans la concertation. Oui, bien sûr concertation il y a, mais dans un certain entre-soi de convaincus, de conseillers, hauts fonctionnaires, chargés d’études ou de projets, de responsables d’établissements ou de responsables qualité ou évaluation. Ceux qui sont appelés à adhérer, sont les professionnels de terrain, qui n’ont pas la parole, à qui il n’est pas demandé de convaincre l’aéropage des experts susnommés, mais d’être convaincus.

L’aveu est redondant : «Il va falloir trouver les mots simples, compréhensifs et performatifs pour convaincre les acteurs médico-sociaux ». Voilà les professionnels de terrain, de contact, d’accompagnement, réduits à leur plus simple expression d’obéir (en étant convaincu et en adhérant) au langage élémentaire, exprimant de manière accessible toute la complexité des systèmes pensés par ces experts. On n’en est pas encore à 1984 (Georges Orwell), mais cela s’en approche. On se trouve ici dans le piège d’une volonté de convaincre dans un rapport d’inégalité et de domination. C’est l’institution d’une césure grave entre ceux qui sont dignes de penser et ceux qui ont à travailler sans penser.

Une pensée, un paradigme, sont ainsi institués par des sachants, seuls dépositaires des politiques publiques ; institués en vérités et doctrines ésotériques et universelles, dont il faudra convaincre les futurs adeptes, adhérents voire prosélytes. S’exerce ici une ségrégation, un séparatisme, entre ceux qui ont (ou se donnent) et détiennent la légitimité d’une doctrine idéologico-politico-économique, et « ceux qui ne sont rien », malgré leurs qualifications et leurs compétences, et dont la tâche sera celle d’être convaincus et convertis. S’installe ainsi, loin de tout fonctionnement démocratique, une technocratie de « sachants », s’imposant verticalement aux non-sachants.

Et, paradoxe des paradoxes, parmi ce dont il faut convaincre, il y a étonnamment l’idée que ceux à qui on ne demande qu’à être convaincus, sans autonomie de pensée, devraient développer, chez les personnes qu’iels accompagnent, du pouvoir d’agir, de l’autodétermination, de la participation sociale, des droits. « Esclaves, je vous enjoins de défendre la liberté ! »

Télécharger l'article


2 commentaires:

  1. La réforme Seraphin PH est un très bon exemple du management à venir dans le médico-social. Les exécutants seront soumis aux contrôle des algorithmes derrière une machine qui ne pourra pas confronter les pratiques.

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour votre article enrichissant !
    https://ufoph.fr/

    RépondreSupprimer