"Convaincre les acteurs ..."
Qui n’a entendu cette formule « magique », sans besoin de s’interroger sur sa pertinence et sa légitimité, tant la banalité de la formulation est une évidence des rapports humains. Dans un débat où les interlocuteurs sont sur un pied d’égalité, lorsque les opinions divergent, chacun des interlocuteurs va tenter de convaincre l’autre de ses arguments, de sa bonne foi, de ses convictions. Là où les choses sont davantage nuancées, et à interroger, c’est lorsque l’action de convaincre se tient entre des interlocuteurs dans une relation de domination, et en particulier lorsque c’est le dominant qui tente ou veut convaincre celui qui est dominé. Il y a là une situation d’inégalité qui donne avantage à celui qui domine : son pouvoir se manifeste par une plus grande légitimité de ses positions, de ses arguments, de sa raison, de ses droits… Convaincre, dans ces conditions, c’est faire adhérer, parfois par la force (il n’est que d’observer la situation politique et sociale actuelle). Mais faire adhérer, c’est quelque part désapproprier la personne dominée de son autodétermination, puisque le rapport de pouvoir ne lui donne pas d’autre choix, sauf celui de la résistance ou de l’insoumission, qui s’oppose à la volonté de convaincre.
C’est pourtant dans une telle inégalité de positions que
j’ai pu lire, sur les réseaux sociaux, sous la plume d’un responsable du
chantier SERAFIN-PH qu’il fallait « convaincre les acteurs
médico-sociaux » lorsque le chantier de réflexion et d’ajustement serait
achevé. L’aveu est là : il y a des personnes qui réfléchissent, qui
travaillent, qui pensent, qui font évoluer le projet, et d’autres qui en sont
exclus, et dont le destin sera d’adhérer au projet lorsqu’il sera ficelé. La
réflexion certes se fait, continue cette personne, dans la concertation. Oui,
bien sûr concertation il y a, mais dans un certain entre-soi de convaincus, de
conseillers, hauts fonctionnaires, chargés d’études ou de projets, de
responsables d’établissements ou de responsables qualité ou évaluation. Ceux
qui sont appelés à adhérer, sont les professionnels de terrain, qui n’ont pas
la parole, à qui il n’est pas demandé de convaincre l’aéropage des experts
susnommés, mais d’être convaincus.
L’aveu est redondant : «Il va falloir trouver les mots
simples, compréhensifs et performatifs pour convaincre les acteurs
médico-sociaux ». Voilà les professionnels de terrain, de contact,
d’accompagnement, réduits à leur plus simple expression d’obéir (en étant
convaincu et en adhérant) au langage élémentaire, exprimant de manière
accessible toute la complexité des systèmes pensés par ces experts. On n’en est
pas encore à 1984 (Georges Orwell), mais cela s’en approche. On se trouve ici
dans le piège d’une volonté de convaincre dans un rapport d’inégalité et de
domination. C’est l’institution d’une césure grave entre ceux qui sont dignes
de penser et ceux qui ont à travailler sans penser.
Une pensée, un paradigme, sont ainsi institués par des
sachants, seuls dépositaires des politiques publiques ; institués en
vérités et doctrines ésotériques et universelles, dont il faudra convaincre les
futurs adeptes, adhérents voire prosélytes. S’exerce ici une ségrégation, un
séparatisme, entre ceux qui ont (ou se donnent) et détiennent la légitimité
d’une doctrine idéologico-politico-économique, et « ceux qui ne sont
rien », malgré leurs qualifications et leurs compétences, et dont la tâche
sera celle d’être convaincus et convertis. S’installe ainsi, loin de tout
fonctionnement démocratique, une technocratie de « sachants »,
s’imposant verticalement aux non-sachants.
Et, paradoxe des paradoxes, parmi ce dont il faut
convaincre, il y a étonnamment l’idée que ceux à qui on ne demande qu’à être
convaincus, sans autonomie de pensée, devraient développer, chez les personnes
qu’iels accompagnent, du pouvoir d’agir, de l’autodétermination, de la
participation sociale, des droits. « Esclaves, je vous enjoins de défendre
la liberté ! »
La réforme Seraphin PH est un très bon exemple du management à venir dans le médico-social. Les exécutants seront soumis aux contrôle des algorithmes derrière une machine qui ne pourra pas confronter les pratiques.
RépondreSupprimerMerci pour votre article enrichissant !
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