"Même pas le temps de faire mon boulot !"
C’est l’heure d’une petite pause-café pour quelques professionnelles d’une équipe médico-sociale. « Oh ! il m’embête, X, dit l’une d’elle, éducatrice spécialisée. Qu’est-ce qu’il est collant, il n’arrête pas de venir me solliciter, il me demande toujours des trucs, il veut toujours savoir si ce qu’il fait c’est bien, tout ça… Pfff ! Il m’empêche de faire mon boulot. » - « Ton boulot ??? » - « Ben oui, je n’ai plus le temps avec lui de remplir mes tableaux Excel, de compléter le dossier informatisé des usagers, de faire mon reporting, tous les trucs qu’on a à faire là… ». Nul doute que le zèle que met cette éducatrice à faire le travail prescrit par les différents référentiels, recommandations et procédures sera la garantie d’une bonne évaluation interne et externe de qualité de services et prestations, qui trouverait grâce auprès d’une quelconque agence de la performance. Elle a le souci de renseigner les différentes grilles et documents (c’est son boulot), et ceux-ci attesteront de l’efficience des prestations, c’est-à-dire de l’adéquation entre ce qui sera déclaré réalisé et les critères établis de l’offre de services et des prestations, au nom de la bonne gestion et administration de l’activité.
Le discours de
l’éducatrice est ici le symptôme d’un transfert, d’un déplacement de la notion
de travail bien fait. Il y a un déplacement de la définition du travail bien
fait du registre de la relation avec l’usager, avec ses imprévus, les
caractéristiques de la personne (eh oui, il est collant, ce n’est pas toujours
prévu dans le travail prescrit !) au registre de la conformité à des
normes de fonctionnement établies, certes au nom de valeurs universelles
restant cependant relativement formelles (pour le bien des personnes), mais
surtout au nom d’une bonne gestion et administration, selon un certain évangile
libéral ou néolibéral, des offres de service. Le « travail bien
fait » a migré de la relation à la gestion.
Le discours et le
texte sociétaux ont beau clamer la nécessaire bienveillance, le refus de toute
maltraitance, la dignité des droits, les pratiques contraintes par l’adéquation
aux critères de la « bonne » gestion ne sont pas à même de pouvoir y
souscrire. Dans l’aide à domicile, autre secteur dont la nature du travail
s’est déplacée, pour une personne pas trop dépendante, l’aide au repas est
décomptée pour 15 minutes : arrivée, sortir le plat du frigo, le mettre à
réchauffer dans le micro-ondes, mettre la table, et repartir. Le respect de
cette prestation, avec le chronométrage programmé, est un gage de la qualité
voulue de la prestation au regard de la gestion des ressources et de la
rationalité de la professionnalisation ( !). Mais que doit faire la professionnelle
si elle voit que la vieille dame est un peu déprimée, qu’elle cherche à lui
prendre la main, qu’elle demande à lui parler un peu…Ce n’est pas prévu, la
professionnelle ne doit pas « céder » sous peine de déroger aux
procédures exigées, et compromettre les critères qualité. Elle doit laisser
cette dame dans la détresse parfois. Si ce n’est pas de la maltraitance…
Des secteurs
entiers ont ainsi été soumis à des impératifs gestionnaires censés, toujours,
améliorer la situation des personnes bénéficiaires. Et ce sont ces impératifs
qui finissent pas définir toute la vie humaine des personnes, en définissant
les besoins au regard de ces impératifs. Il s’agissait d’améliorer les services
d’aide à domicile par la mise en marché et en concurrence. Il s’agissait
d’améliorer la qualité des soins des patients dans les réforme successives de
l’hôpital et du système de santé. Et que dire de la privatisation lucrative des
EHPAD ! Ce sont les conditions générales d’usage qui se sont dégradées, à
côté de quelques améliorations. Avec SERAFIN-PH dans le secteur médicosocial,
on est dans le même registre. Mais au moins là sans hypocrisie : il s’agit
d’une réforme du financement avec la mise en adéquation des besoins avec les
prestations. C’est la gestion des ressources qui commande la nomenclature des
besoins. Ce ne sont plus les relations humaines entre un accompagnant et un
accompagné qui ont de la valeur, c’est la nomenclature de la vie telle qu’elle
doit être au regard de la rationalité gestionnaire et administrative.
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