Une soumission à un ordre gestionnaire ?
Comment se fait-il que personne (ou si peu) ne s’étonne que ce soit dorénavant, et en particulier pour les plus vulnérables, d’abord le coût de fonctionnement et des prestations qui détermine la réponse aux besoins individuels et sociaux ? Entre les excès fantasmés d’un « open-bar » mythique et les organisations contraintes de prestations, évaluées à la jauge de leur efficience (c’est-à-dire le fait de rentrer dans des grilles de coûts), il y a un gouffre ! Il n’empêche : c’est la seconde voie qui se met en place. SERAFIN-PH est justement en train d’installer, progressivement et sans doute avec moins de brutalité que dans des secteurs qui l’ont précédemment éprouvée, comme l’hôpital et l’aide à domicile entre autres, cette efficience revendiquée, avec un cynisme rare. Si l’on parle bien pourtant de besoins (une nomenclature a été créée à cet usage), c’est au nom du principe sacré de « l’adéquation des financements ». On inverse la donne : dorénavant c’est le financement qui détermine la cartographie des besoins ainsi que la cartographie des prestations. C’est l’affirmation de la réduction de la condition humaine aux exigences économiques du moment.
Pourtant
l’expérience aurait dû nous apprendre. Ces
principes ont été actionnés dans plusieurs secteurs, dans les réformes de
l’hôpital et dans l’aide à domicile. Pour le secteur de la santé, la faillite
d’une telle approche, d’un tel dogme économique, idéologique et managérial, depuis
longtemps dénoncé, s’est avérée dans toute son horreur lors de la crise
sanitaire de la Covid 19, se confirme aujourd’hui dans l’accroissement du
nombre de morts aux urgences ou dans la dégradation générale du système de
soins. Rien n’y fait : l’approche gestionnaire qui considère la santé
comme un coût (et non comme un investissement ou un bien commun) qu’il faut
contrôler et minorer continue d’être justifiée, au nom du dogme en vigueur, qui
veut que les critères économique choisis selon une idéologie rigide déterminent
la vie humaine.
Les
transformations de l’aide à domicile attestent des mêmes dérives gestionnaires
et des mêmes dégradations. Au nom du marché et d’une concurrence vus comme
créateurs de qualité, les services à domicile ont évolué pour se soumettre à
une efficience évaluée selon les coûts générés par les prestations. Les
« valeurs » de l’aide à domicile, fondées sur le registre relationnel
disparaissent au profit de services comme succession d’actes cotés et
préalablement définis dans leur durée. Les réformes successives ont effacé le
relationnel, objet et moyen de la réponse aux besoins sociaux, et remplacé par
une comptabilité chronométrée d’actes et de taches qui se succèdent. Ainsi,
pour les personnes faiblement dépendantes, l’aide aux repas est définie selon
une durée de 15 minutes : arrivée, prise de plat dans le frigo, le
réchauffer dans le micro-ondes, mettre la table et repartir [Je dois ces
observation à la remarquable analyse de A. Le Roy et E. Puissant dans leur
contribution à l’ouvrage de M. Hely et M. Simonnet, Monde associatif et
néolibéralisme, 2023, PUF]. La désappropriation de l’aspect premier
relationnel (qui prend du temps, mais qui n’est pas décomptée dans les
nouvelles organisations) a pour conséquence une perte de sens pour les
salariés, et peut aller jusqu’à la maltraitance : comment bien faire quand
on n’a que 30 minutes pour s’occuper d’une personne qui ne fait pas assez
vite ?
Les résultats escomptés en qualité de services sont loin d’être présents, comme on a pu le voir aussi dans les EHPAD. Voilà à quoi conduit une conception gestionnaire des prestations dont le cœur est la relation humaine. Avec SERAFIN-PH, nous n’en sommes pas encore là. Mais ce sont les mêmes principes qui président au dispositif ; et qui interrogent sur la place de l’humain quand il s’agit d’accompagner des personnes. Que d’anciennes habitudes d’utilisation des fonds publics sans évaluations et sans limites ( ?) aient dû être interrogées, cela va de soi. Mais que cette interrogation passe par la soumission à des critères uniquement gestionnaires inverse la donne, en rendant l’humain esclave des contraintes financières choisies et établies par une idéologie politique. Et l’idéologie reste plus forte que l’expérience de laquelle on aurait pu apprendre.
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