La pair-aidance, un empowerment localisé et circonscrit
Parmi les mots d’ordre, les slogans, les terminologies à la mode aujourd’hui, qui prétendent changer le monde ou les chose en les laissant structurellement identiques, la notion de pair-aidance mérite d’être interrogée, afin de la resituer hors du pouvoir magique qui lui est attribuée. Il n’est bien sûr pas question ici de remettre en cause ni le savoir expert qu’ont les personnes concernées, ni l’aide qu’elles peuvent apporter à ce titre à leurs pairs. La notion de pair-aidance a fait émerger plusieurs avancées sociales : la reconnaissance que les personnes handicapées disposaient d’un savoir, dont les contenus sont souvent assortis de limites de leur expérience, qu’elles avaient une place légitime dans l’accompagnement, encore dans les affres d’une reconnaissance d’un statut.
La pair-aidance a
pour principe qu’une entraide entre personnes rencontrant les mêmes difficultés
(des situations de handicap proches) a des effets positifs sur les habitudes de
vie des personnes et leur participation sociale. Il ne s’agit pas d’expertises
professionnelles, ni de simples témoignages, mais d’échanges fondés sur
l’expérience des uns et des autres. Ainsi émerge le « patient
expert », promouvant la personne elle-même, reconnue dans un certain
savoir, et apportant une aide concrète à la personne bénéficiaire. Il s’agit
bien là d’avancées sociales, dans la mesure où, à côté des savoirs
professionnels traditionnellement seuls à être légitimes, s’installent d’autres
savoirs pertinents, donnant une nouvelle place aux personnes concernées.
Il n’en demeure
pas moins qu’il ne s’agit que d’un premier si l’on se met véritablement dans
une perspective de participation sociale et d’autodétermination des personnes
en situation de handicap. Tout d’abord, persiste une hiérarchie des savoirs,
les savoirs professionnels étant présumés supérieurs, les savoirs expérientiels
étant cantonnés la plupart du temps à l’ajustement de la vie concrète. Les
savoirs savants, celui du médecin ou du professionnel de terrain, restent tout
puissants, les savoirs expérientiels sont des savoirs par défaut, là où les
professionnels ne savent pas répondre sur comment cela se passe concrètement. La
pair-aidance est souvent limitée, volontairement ou involontairement, à la
facilitation de la vie des personnes (ce qui est déjà beaucoup) :
expériences de gestes, d’attitudes, de type de réponses, de réclamations, etc.
Le pouvoir d’agir ainsi développé pour les personnes impliquées dans la
pair-aidance n’est pas négligeable. Mais il reste contraint et circonscrit aux
limites d’une véritables participation sociale. En effet pouvoir agir sur ses
conditions de vie, d’existence, sur ses possibilités de participation sociale,
impliquerait, non seulement le changement sur soi présumé de la pair-aidance,
mais aussi le changement des conditions environnementales et structurelles qui
déterminent ces conditions d’existence.
Il ne suffit pas
de mieux ajuster un geste technique grâce à un pair aidant. L’empowerment, le
pouvoir d’agir, c’est aussi avoir le pouvoir d’intervenir sur le plan
structurel afin de modifier la manière dont les cadres sociaux font une place
ou non aux personnes en situation de handicap, dont ils favorisent des
situations de participation sociale ou dont ils produisent des situations de
handicap. Intervenir sur les objectifs et les moyens des politiques publiques
autrement que de manière consultative et finalement indigente, participer aux
aux définitions et objectifs des services qui les accompagnent autrement qu’en
décidant de la couleur de la peinture des couloirs, contribuer à définir du
haut en bas de l’échelle organisationnelle les évolutions des offres de
services, concourir à définir la manière des poser les problèmes davantage que dans
les réponses concrètes à fournir aux pairs, tout cela constitueraient un
véritable pouvoir d’agir construit par les savoirs et l’expérience de pairs.
C’est ce que
s’efforcent de promouvoir des mouvements militants de personnes handicapées,
critiqués comme trop « radicaux », justement en ce qu’ils ne se
contentent pas d’un pouvoir d’agir rabougri et limité.
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