Attention : "mauvais handicapés"
Quand l’idéologie néolibérale a commencé à mettre ses marques dans les politiques publiques et dans la « gestion » des personnes vulnérables (gestion des pauvres, des exclus, des sans emploi ou logement, etc.), beaucoup se sont dit : « quand même, ce ne sera pas pour les personnes handicapées ! » : celles-ci seraient protégées par leur statut, les regroupant quelles que soient leurs caractéristiques ; on ne remettrait pas en cause leur statut, si durement acquis. Toutefois, une petite musique insistante se joue aujourd’hui, qui amène à faire des distinctions, à établir des frontières, entre différentes catégories de personnes handicapées, non pas en fonction de leurs caractéristiques de déficiences ou d’incapacités, mais en fonction de leur situation sociale relative à l’emploi : les personnes handicapées qui travaillent, et celles qui ne travaillent pas, parce qu’elles ne voudraient pas travailler, ou qu’elles se satisfont des aides, etc.
Et oui, la stigmatisation des « mauvais » est
arrivée jusqu’à la catégorie des personnes handicapées. La société
d’aujourd’hui, encore plus qu’avant, désigne, incrimine, dénigre, vilipende, pointe
du doigt, ceux qui sont considérés par les dominants comme de « mauvais
citoyens », « qui coûtent un pognon de dingue », « qui ne
sont rien », ceux « qui ne veulent pas travailler », « qui
profitent du RSA sans contrepartie », etc…On peut même considérer ce
discours politique et médiatique comme hégémonique. Dans cette logique, les
situations vécues par les personnes, d’exclusion, de vulnérabilité, de
pauvreté, de misère, de domination, sont considérées dans ce même discours
comme de la responsabilité des personnes concernées : si elles sont dans
cette situation, c’est quand même quelque part qu’elles l’ont cherché, qu’elles
l’ont bien voulu, qu’elles n’ont pas fait preuve d’adaptation…L’exemple sans
cesse rappelé dans les média est celui des patrons cherchant vainement des
employés, alors qu’en face il y a tant de gens qui ne veulent pas travailler.
Les chiffres pourtant contredisent cette « vérité » médiatique et
politique.
On a longtemps cru, dans le milieu professionnel du secteur
du handicap, que les personnes en situation de handicap seraient exclues de ce
type de stigmatisation et de discrimination. Stigmatisées et handicapées, les
personnes handicapées, oui, mais sur la base de leurs caractéristiques
personnelles physiques ou psychiques (maladies, déficiences, troubles,
incapacités).
Il commence à se dire que les personnes handicapées qui ont
un emploi, c’est grâce à leur volonté, leur volontarisme, parce qu’elles ont
surmonté leur handicap. Comme pour les personnes non handicapées, trouver et
garder un emploi serait une affaire de volonté pour les personnes handicapées. En
filigrane, ce que l’on peut lire de ce discours, c’est que ceux qui n’ont pas
d’emploi, c’est par manque de volonté : elles n’ont pas été persévérantes,
elles n’ont pas su se débrouiller, etc. Un non-dit conséquent, comme pour la
population générale d’ailleurs, est que ceux qui ont fait preuve de volonté,
ceux qui ont trouvé cet emploi, méritent de bénéficier d’aides et de
ressources, les autres, qui « coutent » le méritent moins. Un
équipement est accordé à celui qui travaille pour s’y déplacer et pour ses
autres déplacements ; il n’est pas accordé à celui qui ne travaille pas,
même s’il doit (ou a envie) de se déplacer au quotidien.
Il ne s’agit pas là du constat que la situation des
personnes en situation de handicap est plus injuste que celle des autres
populations. Mais de constater que dans une société fonctionnant sur
l’injustice, la domination, l’exploitation, ceux qui en profitent n’ont de
cesse de rabaisser et de spolier les autres, quelles que soient leurs
caractéristiques, celles-ci fussent-elles promues sous la bannière de la
solidarité. Constater d’autre part que la participation sociale des personnes
en situation de handicap ne sera plausible que lorsque la participation sociale
de tous, sans ce mépris récurrent, sera un objectif partagé.
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