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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

lundi 5 février 2024

à qui appartiennent les besoins ?

A qui appartiennent les besoins ?

Un besoin exprime un écart, entre ce que je ne possède pas et ce que possèdent d’autres, cette dernière possession étant considérée comme le standard de ce qui fait une vie satisfaisante. La notion de besoin s’inscrit dans un schéma normatif où il y a une normalité en deçà de laquelle l’écart doit être comblé, en ce qu’il exprime un besoin. Celui-ci, lorsqu’il sera comblé, fera accéder la personne qui a un manque/besoin à l’égalité avec les autres humains, dont la « moyenne » de fonctionnement constitue la norme. Et inévitablement, lorsqu’une personne ne peut satisfaire un tel besoin, surtout si cela est de son fait, elle se trouve de fait dans les catégories hors normes par rapport aux normaux. C’est la définition que l’on trouve dans la réforme SERAFIN-PH, où le besoin de la personne handicapée est défini comme un écart, en moins (c’est-à-dire ce qui manque) par rapport à ce qui est réalisé (formellement) par la personne non handicapée. Le besoin reste la marque du défectueux, du manquant, en définitive de l’homme minoré.

A y regarder de plus près, définis de cette façon, sont-ce bien les besoins de la personne ? Notre mode de fonctionnement normal et normé est-il l’unique référence, en dehors de laquelle ce qui manque (et d’ailleurs aussi ce qui est en plus), ce qui est absent, constitue un besoin qu’il s’agit de pourvoir ? Une personne née sourde profonde, ayant appris à communiquer avec la langue des signes, a-t-elle un besoin d’entendre ? Ecoutons le témoignage de Charlotte Puiseux : « Non, mon rêve n’était pas de marcher (marcher n’a jamais été vital !) ni de courir. Oui, je voulais avoir une vie sociale, des relations amoureuses, travailler… Mais la solution n’était pas de me rendre valide. » (De chair et de fer, p.32). Rendre valide (l’expression est forte), c’est vouloir combler ce qui fait écart avec la caractéristique de validité, c’est considérer que celui ou celle qui a ce besoin est incomplet. Rendre valide est le texte caché d’une approche centrée sur les besoins, considérés comme écarts par rapport à un fonctionnement humain défini par des normes. La valeur fonctionnelle du corps physique ou psychique en devient associée à une valeur morale. Les besoins considérés ne sont pas ceux des personnes concernées, ils sont ceux des « normaux », des valides, représentés par des experts professionnels, qui considèrent que la norme c’est de devenir valide en comblant (compensant) les besoins.

Considérer ce qui me satisferait, ce dont j’aurais besoin, en fonction des normes sociales de mon environnement, comme la marque d’un manque fonctionnel me situe relativement à une norme de complétude ou d’intégrité fonctionnelles décidée par ceux qui s’estiment « complets ». C’est ce qui se produit pour les personnes en situation de handicap. Des professionnels, experts de l’intégrité de l’être humain et des moyens de l’atteindre, déterminent les besoins de ceux dont ils estiment qu’il leur manque quelque chose. Le médecin décide, pour pallier un besoin, d’une intervention chirurgicale, d’une médication, d’une prothèse…, relayés par d’autres professionnels en ce qui concerne chacun son expertise. La multiplication des besoins fonctionnels considérés comme écarts à une norme interdisent de prendre en considération les conditions de fonctionnement de la diversité humaine et fait des personnes concernées des « nécessiteux ».

Alors que faire de ces différences ? L’on gagnerait sans doute à réfléchir non pas en termes de capacités fonctionnelles, ce qui conduit à identifier des écarts par rapport à des normes, et à les analyser comme besoins, mais à réfléchir dans le registre des réalisations d’activités individuelles et collectives socialisées : se déplacer plutôt que marcher ou courir, … être autonome plutôt qu’être indépendant. Cette réflexion pourrait conduire à analyser ce qui ne peut être réalisé comme des impossibilités d’accès aux droits fondamentaux. L’autonomie n’est pas un besoin, c’est un droit. Penser en termes de droit(s), et non plus de besoins, permet de s’extraire de la notion validiste de manque ou d’écarts aux normes.

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