Troubles associés à une déficience
Je me suis toujours interrogé, non sur la complexité des « troubles » qui pouvaient apparaitre associés à une déficience principale, mais sur la nature de cette association d’une déficience à des phénomènes connexes qui lui apparaissent attachés. Le premier exemple qui m’a interrogé est celui de la déficience auditive, à laquelle les représentations dominantes à une certaine époque associaient des troubles ou des handicaps associés dans différents domaines. Une publication (D.Colin, Psychologie de l’enfant sourd, Masson, 1978) me semble emblématique d’une théorisation de cette association, que l’on retrouve encore assez souvent dans les orientation contemporaines. Cet ouvrage indique, dès son premier chapitre, des « généralités sur les quatre handicaps de l’enfant sourd : handicap biologique, voire psycho-physiologique, handicap verbal, handicap social et affectif, handicap intellectuel ».
La situation d’un
enfant est présentée comme un complexe déficient, liant inextricablement la
déficience physique (la déficience auditive) avec ce qui est nommé handicap,
mais qui constitue en réalité, dans ce modèle théorique, d’autres déficiences.
La manière dont les diagnostics, les évaluations, les bilans sont posés et
formulés laisse penser que l’ensemble des difficultés observées et rencontrées
appartiennent (biologiquement, organiquement, fonctionnellement) à la
caractéristique de la déficience, à un « syndrome » dysfonctionnel
qui lie et associe entre eux différents éléments physiques et psychiques. Ainsi,
toujours dans le même ouvrage, les chapitres suivants traitent des troubles
associés dans les domaines du développement moteur et psycho-moteur, de la
mémoire, de l’intelligence et des activités cognitives et dans la vie affective
et les relations avec autrui.
Ce qui est
remarquable dans une telle approche, tout à fait mainstream dans les
années 1970, et encore quelque peu présente aujourd’hui, c’est qu’à aucun
moment les difficultés identifiées, en dehors de la déficience auditive
proprement dite, ne sont liées aux conditions et attitudes environnementales
d’éducation, d’apprentissages, de communication, de relations, etc. Ce que l’on
peut identifier aujourd’hui comme une situation de handicap complexe en raison
de mauvaises conditions d’apprentissage, d’environnement langagier défavorable,
d’absence d’accessibilité…n’est comprise que comme des attributs de l’enfant
concerné. C’est à lui et à ses caractéristiques qu’est attribué le poids du
handicap généralisé. Les troubles associés sont délibérément conférés à la caractéristique déficitaire de la
personne concernée. C’est de cette manière que les caractéristiques générales
d’une personne, ce qu’elle peut ou ne peut pas faire tant sur le plan de ses
aptitudes que dans ses habitudes de vie sont essentialisées, naturalisées comme
faisant partie de la déficience dite principale.
Il y a certes de
nombreuses situations où la non réalisation d’aptitudes (incapacités) est
directement liée à un dysfonctionnement organique, physique ou psychique (le polyhandicap
par exemple). Mais le recours à la notion de handicaps associés persiste à
essentialiser des caractéristiques, quand celles-ci sont le produit de
l’interaction entre la personne et son environnement. Si la notion renvoie, à
juste titre à la complexité de situations vécues, la complexité tient le plus
souvent à ces interactions davantage qu’à la caractéristique
« élargie » de la déficience observée. La mémoire, le développement
moteur, les apprentissages cognitifs ne sont pas immuablement liés à la
déficience, ils dépendent des conditions dans lesquels ils ont été exercés.
Un tel retour
historique n’a d’intérêt que parce qu’il permet d’identifier qu’aujourd’hui encore,
il existe des ambiguïtés dans l’utilisation de la formulation de
« handicaps associés ». Il y a parfois de représentation archaïques
qui sont présentes, attribuant la complexité de la situation vécue à la
personne concernée et ignorant les facteurs environnementaux.
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