Les impensés du changement
L’injonction au changement est massive et permanente. Comme si l’état naturel était l’immobilisme, et que le changement ne se produirait que par injonction, pression, voire violence. Le schéma le plus courant justifiant de cette conception du changement est basé sur une échelle des zones, allant de la zone de confort à celle du changement, en passant pas celle de l’incertitude ou de la peur et celle de l’apprentissage. Il y a un a priori méthodologique : la zone de confort ne permettrait ni innovation, ni changement, étant définie comme un état dans lequel une personne se sent à l’aise, sans subir de stress ou d’anxiété. Ce qui permettrait innovation et changement, c’est la sortie de cet état, pour entrer dans une zone de peur (heureusement personne n’a encore parlé de zone de terreur comme source de changement !).
Il faudrait encore
prouver qu’un état de peur, d’anxiété, d’incertitude extrême et de
déstabilisation débouche sur des apprentissages nouveaux et sur du changement. Au
contraire, ce que l’on observe le plus souvent dans de telles situations, ce
sont des dégradations de l’état, et de l’état de santé des personnes :
sidération, stress, anxiété, dépressions… A l’inverse, l’état de sérénité
assorti à la zone de confort permet, dans la confiance accordée à la personne,
que celle-ci puisse être créative, innover. Et même s’interroger, friser avec
une incertitude raisonnable. Le changement n’est pas une révolution violente
qui se fait en état de peur, c’est souvent un pas de côté qui se fait dans la
sérénité. Il y a, derrière cette approche contrainte, une dévalorisation des
personnes, supposées incapables de changer, résistantes, opposantes, tant
qu’elles ne sont pas bousculées radicalement dans leur confort professionnel.
Oui certes, là où il n’y a que des certitudes établies, les questionnements
n’ont pas leur place. Il serait plus opportun de faire référence à la notion de
zone proximale de développement (Vigotsky) pour penser apprentissages et
changement.
Les discours
managériaux déplorant les résistances au changement ou proposant différents
dispositifs de contourner ces résistances restent dans le même paradigme :
le changement n’est pas naturel, le confort l’est, et le confort empêche le
changement. On pourrait penser que les approches participatives dans le
management sont moins brutales (on parle ici plus d’incertitudes que de peur
dans ce qui advient dans la rupture de la zone de confort), et qu’elles
s’appuient quelque peu sur le postulat humaniste que chacun est susceptible de
changer pour peu qu’on lui donne des conditions favorables pour le faire. Ces
conditions peuvent consister en une reconnaissance matérielle et organisationnelle,
en un climat de travail serein, en des formations adéquates, etc.
Pour autant, ces
approches se sont-elles interrogées sur la nature du changement voulu ou
souhaité ? Qui a défini le changement, ce vers quoi il faudrait aller, et
les chemins qui y conduisent ? Même lorsque l’on fait participer les
salariés, les professionnels, les « collaborateurs », on ne leur
demande pas de définir la cible vers laquelle l’institution va. Cette cible est
définie à des niveaux auxquels les professionnels n’ont aucun accès. Ainsi, la
réforme de la tarification des services médico-sociaux a-t-elle été définie par
des « technocrates » appuyés par quelques responsables, en fonction
de critères éloignés des valeurs et des pratiques « de terrain », et
à laquelle les professionnels devraient adhérer. Ce type de changement instaure
une espèce de division du travail entre ceux qui définissent le changement en
termes d’objectif, et ceux qui vont le mettre en œuvre sans donner leur avis.
Leur participation au changement se fera sur leur assentiment, au mieux, mais
avec des restrictions dans le cas de cette réforme dans la recherche de
certaines modalités. L’absence d’assentiment justifiera en retour la conception
immobiliste de l’organisation.
Le changement,
idée pourtant largement partagée, se soutient d’impensés, dans sa conception
comme dans ses modalités, qui sont rarement évoqués dans les nombreux articles,
ouvrages et injonctions professionnelles qui le plaident en sa faveur.
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