Des droits dans un système d'exclusions ?
Il n’est pas aisé
de continuer à agir, militer, défendre le développement des droits des
personnes dites handicapées et la perspective inclusive quand, autour de nous,
se multiplient les discours et les actes attestant de barrières de plus en plus
importantes et de régressions sociétales concernant les droits humains. C’est
se trouver sur une corde raide que d’agir pour les droits et pour l’inclusion
quand les environnements politiques, médiatiques, économiques et sociétaux
convergent vers moins de droits et davantage de légitimation de l’exclusion. Car celle-ci est désormais assumée. Est-il
encore pensable, conceptualisable, de postuler davantage de participation
sociale, de droits, d’autodétermination, d’inclusion pour les personnes dites
handicapées, quand pour de nombreuses et majoritaires catégories de personnes
et de populations, c’est l’inverse qui est postulé, promu et réalisé ?
Fin 2025,
plusieurs pays d’Europe ont revendiqué une restriction des droits humains afin
de « régler le problème » de l’immigration. Cette idée de
restriction, dont la perspective est partagée par nombre de dirigeants
politiques sur un large spectre, devient ainsi une direction politique et
« éthique » qui remet en cause toute l’évolution des droits humains
depuis 1948 (et bien au-delà). La négation de nombreux droits devient ainsi
monnaie courante aujourd’hui aux USA : au-delà d’un président élu dont les
excès masquent d’autres évolutions, c’est bien devenue une idée partagée par
une majorité de la population. Les chasses aux clandestins, les reconduites à
la frontières, les attaques contre la liberté d’expression et de recherche dans
les universités, les censures de livres, etc, participent d’une banalisation de
la restriction des droits. Et l’idée d’euthanasie émerge.
Plus proche de
nous, en France, on trouve les mêmes mouvements d’idées. Le wokisme,
l’écoterrorisme, l’islamo-gauchisme, etc. sont des accusations qui fleurissent
chez les hommes politiques et dans certains médias, permettant et légitimant le
refus et l’exclusion de certaines idées, en particulier critiques de l’ordre
établi, installant des « vérités alternatives ». La focalisation est aujourd’hui
courante de certains courants politiques sur les dangers de l’immigration, de
certaines religions, et aussi sur les caractéristiques de certaines populations
qui ne partagent pas les valeurs des élites (les « Jojo », les
pauvres qui profitent de l’argent public, les assistés, les chômeurs toujours
un peu fainéants, les « sans dents », et même parfois maintenant les
handicapés). Les droits acquis (conquis) après la seconde guerre mondiale sont
aujourd’hui systématiquement et mondialement déconstruits pour laisser libre
cours à un marché censé réguler magiquement les choses, qui affiche des valeurs
de liberté et met en place des réalités d’injustice, d’exploitation, de
concurrence et d’inégalités : sécurité sociale, services publics,
retraites, droits d’expression… Il est aujourd’hui difficile, dans les miasmes
de tels discours (et de tels actes politiques, car cela se traduit
législativement et réglementairement : voir par exemple les lois sur le
logement qui mettent de plus en plus de gens dans la rue), de penser à une
société du vivre ensemble, à une société d’égalité et de justice, à une société
de reconnaissance des droits de chacun. La société du bonheur est appelée de
ses vœux par le système qui en organise le malheur.
La participation
sociale et citoyenne, l’inclusion dans la société et dans ses institutions, la
qualité de vie, sont antinomiques avec la ségrégation, la discrimination,
l’exclusion, qui sont aujourd’hui revenues à l’ordre du jour. Défendre les
droits des personnes dites handicapées, leur participation, et à plus forte
raison leur émancipation, va à contre-courant d’une pensée qui développe les
exclusions. Penser un îlot de droits et de progrès pour les personnes dites
handicapées dans un océan de régressions, de ségrégation, de discrimination,
d’ostracisation, de séparatisme, de mépris n ? Ni pensable, ni faisable !
La réponse est inévitablement aussi dans les changements systémiques et
politiques.



