Les obstacles sociaux à l'inclusion
L’inclusion dans
l’emploi et dans le monde de l’entreprise ? Que demande-t-on pour une
embauche et pour tenir son poste de travail ? Un rapide tour sur les offre
d’emploi et dans les éléments de langage du management contemporain est
édifiant. Les compétences requises accumulent des qualités professionnelles et
humaines remarquables, et même rédhibitoires pour certaines : agilité,
adaptation, flexibilité, mobilité, polyvalence, esprit d’initiative, rapidité,
réactivité, productivité, plasticité, qualifications, performance, dynamisme,
autonomie, esprit d’équipe, résistance, résistance au stress, etc. Réunir ces
qualités et ces compétences relève de l’exploit individuel ! Jamais n’est
posée la question de l’emploi de ceux qui ne réunissent pas ces qualités (ou
partie de ces qualités), si ce n’est de les disqualifier sur un plan individuel
(les « fainéants »), sans remettre en question le fonctionnement
social de la production de biens et de services.
Lorsque l’on
repositionne les qualités requises dans la perspective d’une entreprise
inclusive ou d’une société inclusive du travail, cela pose véritablement un
problème. L’exigence de ces qualités exclut. Elle exclut tous ceux qui ne
peuvent satisfaire à ces exigences : beaucoup de personnes handicapées
bien sûr, mais aussi beaucoup d’autres personnes (la résistance au stress n’est
pas une qualité naturelle ou innée !). Mais ces qualités exigées ne
constituent en réalité qu’un construit social correspondant aux exigences d’une
société de production où l’objectif est de produire des biens et des services,
de qualité sans doute, mais au moindre coût.
Le
« construit social » est l’ensemble des relations établies dans une
société, à un moment donné, entre les personnes et entre celles-ci et les
institutions. Il est constitué d’habitudes d’être, de faire, de vivre, de
travailler, de se comporter, de communiquer, etc. Dans notre société
contemporaine, il est constitué autant d’une égalité formelle que des
inégalités de ressources et de droits, autant d’une démocratie formelle que de
domination de certaines catégories sur d’autres catégories. Dans le registre
formel, l’inclusion est valide : discours, réglementation, principes. Dans
le registre réel se trouvent les obstacles. Dans le champ du travail, le
construit social est issu de choix politiques et économiques effectuées sans
(et contre dans ses effets) les personnes fragiles, vulnérables, handicapées.
C’est un construit social non inclusif : il fonctionne en ne tenant pas
compte de ceux qui ne disposent pas des qualités demandées, promues, exigées au
sein de ce construit social. Il est constitué par et dans une société qui ne
s’est préoccupée qu’à la marge des personnes vulnérables, et qui a mis en exergue
le fonctionnement humain basé sur l’investissement et le capital plutôt que sur
l’épanouissement et le bonheur humain.
Comment
voudrait-on, en gardant tel ce construit social et ces valeurs, que les
personnes vulnérables et handicapées aient une place satisfaisante dans notre
société ? Combien de personnes handicapées non recrutées en raison de cet
écart entre les critères et valeurs du construit social et les possibilités des
personnes concernées : pas assez rapides, pas assez autonomes, pas assez
performantes, etc. Même dans les entreprises du secteur médico-social, qui
affichent leur philosophie et leur politique inclusives, on n’embauche pas les
personnes handicapées pour ces mêmes raisons.
On ne cesse
pourtant d’évoquer et d’invoquer l’inclusion, on ne cesse de prôner une
perspective inclusive sans prendre en compte ce construit social interdisant
« par définition », par nature, toute idée inclusive. On est donc
condamné à mettre en avant symboliquement des DuoDay ou de gadgets similaires
pour attester d’une action inclusive. Les situations de handicap que
rencontrent les personnes dans l’emploi ne dépendent pas d’elles, mais d’un
environnement économique qui met des obstacles à leur participation, en
fonctionnant sur des valeurs non inclusives.