Démédicalisation et médicalisation
Il est bien loin
le temps (plus d’un demi-siècle) où les premiers militants de la « Vie
autonome » revendiquaient une démédicalisation des problématiques de
handicap et de la vie des personnes handicapées. Certes les approches
conceptuelles ont évolué, et les facteurs environnementaux ont fait irruption
dans les explications des situations vécues par les personnes handicapées. De
nombreuses recherches ont étayé ces approches. Les approches sociales et
écosystémiques sont aujourd’hui reconnues et apparaissent comme s’étant
substituées aux approches médicales et individuelles du handicap. Les débats et
les politiques publiques se sont construits sur ces évolutions, en prenant
également appui sur l’évolution de la considération de la place des personnes
concernées, dont on trouve le cadre dans la déclaration des droits des
personnes handicapées (Convention des droits des personnes handicapées, ONU) et
dans de nombreux textes européens. On dispose donc aujourd’hui de nombreux
outils pour examiner la question du handicap et les problématiques de vie des
personnes handicapées d’un point de vue non médical, pour démédicaliser les
questions et les problématiques.
Dans les actions
et interventions d’accompagnement des professionnels auprès des personnes qui
rencontrent des situations de handicap, on observe également des évolutions
significatives : aménagement des environnements, accessibilité, respect de
l’identité des personnes, relativisation de l’impératif de normalisation (par
des soins, des traitements ou des rééducations), etc. Toutefois, on observe
également des évolutions sociétales qui opèrent des mouvements vers une
médicalisation de phénomènes qui auparavant n’étaient pas envisagés sous
l’angle médical. Des problèmes autrefois qualifiés dans le registre social,
sociétal ou politique se trouvent aujourd’hui qualifiés de pathologies, de
maladies, de troubles, etc. Ainsi nouvellement qualifiés, ils appellent à des soins
et traitements de correction, de normalisation, de guérison.
Sur le plan
général par exemple, l’absence de bonheur, le fait de ne pas être heureux, est
aujourd’hui presque toujours traité comme une pathologie, qui peut être réduite
ou supprimée par des « soins » médicaux ou para-médicaux (ou par des
techniques qui s’apparentent à des interventions soignantes). L’écosystémie
ambiante, qui voudrait considérer que toute situation de vie dépend d’une
certaine interaction entre une personne et les milieux dans lesquels elle vit,
disparait au profit de traitement individuels qui se dérobent aux
problématiques collectives et sociales. Pourtant, ne pas être heureux au
travail ne dépend généralement pas de la personnalité individuelle d’un
salarié, mais également du contexte et du cadre de travail.
Plus
spécifiquement, lorsque l’on considère les situations de handicap, on observe
également ce même phénomène. La maitrise de la langue écrite (lecture et
écriture) qui présentait de grandes difficultés pour un part non négligeable de
la population est ainsi devenue une pathologie sous le nom de dyslexie ou
dysorthographie, avec encore des difficultés de délimitation de frontières
entre les difficultés, l’échec et la pathologie. Le problème est que, définie
comme pathologie, une situation trouve sa résolution dans un traitement
individuel : l’élève concerné sera « soigné », après un
diagnostic médical, par des professionnels dont la spécialité consiste
justement à traiter ces problèmes. Là où la mission des enseignant était
auparavant de répondre et de trouver des solutions à de tels échecs (sans
toujours beaucoup de succès, il faut bien le reconnaitre), les solutions sont
désormais situées à l’extérieur des classes, auprès de spécialistes non pas de l’apprentissage
de la lecture et écriture (comme le sont les enseignants), mais de spécialistes
de la remédiation et de la rééducation dans ces domaines.
C’est ainsi que la
re-médicalisation des certaines problématiques, qui se développe aux confins de
l’école, positionne les réponses sur un plan uniquement technique et
individuel, privant l’école de sa mission d’éducation de tous dans les domaines
de ces apprentissages, et en contradiction avec les perspectives d’école
inclusive.