Un écosystème qui produit du handicap
La place et les
fonctions des personnes dites handicapées ont été le plus souvent et longtemps
déterminées en raison des effets de leurs caractéristiques personnelles sur le
fonctionnement social. Elles étaient empêchées de participer à celui-ci en
raison de leurs caractéristiques : le travail, l’école, la vie civique,
l’espace public, leur étaient interdits en raison de leurs déficiences ou de
leurs incapacités. L’approche sociale, postulant les causes de cet empêchement
dans l’organisation sociale et dans l’environnement, a inversé la problématique
de l’empêchement de participation sociale, et identifié par conséquent les
causes du handicap dans le fonctionnement social (économique, politique, social,
…).
On peut prolonger
cette approche en observant, de manière particulière, la place et les fonctions
en regard du fonctionnement économique que l’on connait aujourd’hui,
c’est-à-dire une économie de type capitaliste. Le fonctionnement capitaliste
étant basé sur la production de plus-value, il y a des périodes où les
ressources humaines sont trop nombreuses et « surnuméraires » pour
optimiser les plus-values, soit quantitativement (la réponse dans ce cas est
celle des licenciements et du chômage), soit qualitativement (parce que les
personnes ne sont pas assez productives : c’est le cas par exemple de
certaines personnes dites handicapées). Dans ce paradigme, pourrait être
considérée comme handicapée toute personne qui n’assure pas suffisamment de
plus-value dans un contexte donné. C’est peut-être l’une des raisons qui
explique la variation de la définition du handicap, qui voit la population
concernée s’élargir en période de récession de l’emploi (ce qui permet de
n’embaucher que les plus performants), et se rétrécir en période de
« plein emploi ». Et l’inclusion peut être, toujours dans ce
paradigme, une réponse à la pénurie de main d’œuvre, ou une atténuation de
l’exigence économique.
Le fonctionnement
de l’économie capitaliste a ainsi plusieurs manières de décrire et de légitimer
les frontières qu’il établit entre les humains, en instituant des catégories. Il
y a ainsi des frontières qui sont construites par la nature du fonctionnement
du système, entre ceux qui rapportent suffisamment de plus-value (ceux qui ont
encore un emploi, même déqualifié), et ceux qui n’en rapportent pas
suffisamment et qui sont conduits au chômage. Le registre de justification de
cette frontière est placé, par le discours économico-politique, chez les
personnes concernées elles-mêmes, et non dans la nature du système qui organise
ces frontières : les personnes ne veulent pas travailler, ce sont des
« feignasses ». Elles sont assignées à être exclues.
Le même registre
fonctionne pour les personnes dites handicapées. Du point de vue du
fonctionnement de l’économie capitaliste, l’exclusion des personnes dites
handicapées du monde du travail est logique, rationnelle, légitime et conforme
aux valeurs portées par le système. Les personnes non performantes en termes de
productivité, et donc en termes de retour de plus-values, n’ont pas de place
dans une organisation dont la nature et l’objectif sont de faire de la
plus-value. Et, la plupart du temps (sauf exceptions notables), une personne dite
valide rapporte davantage de plus-value qu’une personne dite handicapée. La
catégorisation du handicap, avec les frontières qu’elle établit et les statuts
qu’elle définit, intéresse un tel système économique dans la mesure où cela lui
permet de se défausser des moins productifs sur l’Etat, et des obstacles à la
rentabilité et la création de plus-value que constituerait l’emploi des
personnes dites handicapées. C’est une autre manière de gérer les
« surnuméraires » du système économique.
Penser
l’inclusion, un monde de travail inclusif, est une impasse sans remise en
question de l’écosystème économique : c’est vraisemblablement pour cette
raison que l’on peut déplorer, à juste titre, que l’inclusion n’avance pas.
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