"Interdit aux enfants et aux handicapés"
Je croyais, sans
doute naïvement, que depuis la ratification de la Convention des Droits de
Personnes Handicapées, en France depuis la loi de 2005, ce genre de formulation
d’interdiction était prohibé réglementairement et proscrit éthiquement. Et
pourtant oui, en 2025, cette formulation est quasi utilisée : lors d’une
de mes formations, une participante a rapporté l’avoir lue dans une notice
d’utilisation d’un appareil électroménager (micro-ondes Toshiba). Ce n’est
certes pas la formulation brutale qui fait le titre de cet article ; la
formulation est euphémisée ainsi : « Cet appareil peut être
utilisé par des enfants de moins de 8 ans ainsi que par des personnes ayant des
capacités corporelles, sensorielles ou mentales restreintes … si elles sont
surveillées ou formées sur l’utilisation sûre de l’appareil. » A son
grand étonnement, et à celui de l’ensemble des participants à qui elle l’a
rapporté. Etonnement, oui, certes, et même davantage. Mais comment peut-on
expliquer qu’en 2025 cette formulation puisse encore être en usage ?
Il y a bien sûr
des raisons, que l’on pourrait qualifier d’objectives, susceptibles de
justifier de telles précautions : les garanties d’assurances sont
peut-être plus contraignantes quand il s’agit de personnes handicapées, en
raison des dangers dans lesquels elles pourraient se mettre ; peut-être
même cette justification trouve-t-elle sa source dans des accidents qui ont été
constatés. Il n’en demeure pas moins que cette interdiction met les personnes
concernées en situation de ne pas pouvoir réaliser une activité pourtant vitale,
celle de préparer des repas, comme tout un chacun. Il y a bien des populations
qui courent des risques dans l’utilisation d’appareils électroménagers :
les personnes qui ne savent pas lire, ou qui lisent mal, des populations en
situation de précarité, des populations d’origine étrangère, des populations
non familiarisées avec le numérique, etc. Mais ce ne sont pas ces
populations-là qui sont mises en garde. Ce sont les populations de personnes
handicapées, parce qu’elles peuvent être ciblées en tant que catégorie
administrative. Cela choquerait si l’on voyait : « interdit aux
vieux ! »
Ce qui apparait là,
spécifiquement pour une catégorie de population, c’est le déni de tout risque,
sous couvert de protection. Historiquement, c’est la protection qui a fait
l’objet des politiques envers les personnes handicapées. Protection jusqu’à
l’enfermement et l’absence de droits. Les institutions, les curatelles, l’absence
de droits ont été institués « pour le bien » des personnes concernées,
en raison de leurs incompétences présumées dans toutes sortes de domaines, des prétendus
risques de mise en danger (de la part de la société ou d’eux-mêmes), de leurs supposées
fragilités, etc. En réponse à toutes ces craintes, la protection était de mise,
écartant au maximum toute prise de risque. Il est assez paradoxal qu’à l’heure
où l’idéal typique de l’humain est l’initiative, la flexibilité, l’agilité,
l’engagement, toutes marques de prises de risque (sans risque, l’humain est
moins humain !), ce soit justement à des personnes handicapés que celui-ci
est interdit.
Il n’est pas
anodin non plus que la population des personnes en situation de handicap soit
accolée à celle des enfants. C’est là aussi une caractéristique historique.
Longtemps en effet, les personnes handicapées, en particulier celles qui
présentaient des troubles du développement intellectuel, ont été considérées
comme des humains peu ou pas « développés », avec une mentalité et
des attitudes d’enfants, ce qui se confirmait par des assertions
« scientifiques » du type : « âge mental de 8ans ». Les
accoler dans une telle notice revient à mettre en avant leur ressemblance, leur
proximité, et alimenter la représentation classique et les attitudes
d’infantilisation. Les interactions sociales étant placées, instituées, sous le
signe de cette proximité, c’est spontanément que s’instituent des rapports
biaisés avec les personnes concernées, les attitudes de condescendance, de
discriminations et de subordination. Les obstacles à l’égalité des droits et
des positions se nichent partout.