Professionnels : renverser le stigmate
Dans les évolutions du travail social, et des secteurs médico-social et social, il y une volonté institutionnelle de dépasser le passé, de passer outre la culture qui s’était mise en place dans les accompagnements, de minorer ou neutraliser les compétences des professionnels (le cœur du métier) du travail social. Il ne s’agit pas d’une volonté individuelle malfaisante, mais tout simplement de coller aux évolutions sociales et sociétales qui consistent à considérer que la réalité humaine est celle d’un marché, et qu’en conséquence ce qui compte, c’est l’efficacité, l’efficience (et pour le privé, le profit), dans le cadre d’une économie de ressources. Il s’agit d’évolutions politiques, économiques, idéologiques, qui sont devenues dominantes en ce début du XIXème siècle, et qui s’opposent à ce qui a fondé la culture des travailleurs sociaux depuis un demi-siècle. Dans cette configuration, les éducateurs, les assistant·es de service social et autres travailleurs sociaux, qui étaient titulaires de compétences professionnelles certifiées, se retrouvent « disqualifiés » face à des postures professionnelles attendues selon cette nouvelle idéologie. Leurs formations ne correspond plus à ce qu’attendent les politiques publiques et doivent être ajustées ; leur références et leurs pratiques non plus. Lorsque les évolutions des offres de service ne sont pas assez rapides aux yeux des décideurs, ils sont accusés de faire de la résistance, d’être nostalgiques du passé. Et l’on s’étonne que le secteur ait perdu le sens de son travail.
Ces évolutions
comportent deux aspects (qu’on retrouve de manière explicite dans la loi
de janvier 2002) : la reconnaissance des droits et de la participation des
personnes handicapées (avec des outils comme le projet personnalisé, le CVS,
etc) ; et une nouvelle organisation de fonctionnement des établissements
et services (en particulier les évaluations, la numérisation des informations, les
démarches qualité, autorisations, les écrits, etc.). La nouvelle organisation
des secteurs met en difficultés nombre de professionnels : la prétendue
rationalisation des interventions se fait au nom d’impératifs
économico-techniques ne tenant pas compte de la nature du travail de
relation ; l’exigence de transparence se traduit par des contraintes
administratives qui prennent du temps, au détriment du travail auprès des
usagers ; les protocoles, procédures et reporting envahissent l’esprit et le
temps des professionnels…
Cependant,
l’adhésion aux changements concernant un nouveau regard et de nouvelles
représentations des personnes handicapées est bien présente, malgré les
obstacles mis par les exigences et contraintes de l’organisation (c’est en tout
cas ce que j’observe lorsque je réalise des formations de professionnels). La
présence des usagers comme acteurs de leurs projets, la recherche de davantage
de participation sociale et d’autodétermination, le respect des droits
s’inscrivent dans les pratiques. Ils redonnent aux professionnels un sens à
leur travail, parfois en s’opposant paradoxalement aux injonctions et aux exigences
de l’organisation institutionnelle.
Ces évolutions
professionnelles se manifestent par exemple par la demande forte de formation
d’une part d’analyse des pratiques, d’autre part sur l’amélioration des écrits
professionnels. Cette deuxième demande procède directement des exigences des
réformes institutionnelles : aujourd’hui sont exigés de nombreux écrits
professionnels, dont la maitrise s’avère nécessaire. Mais il ne s’agit pas
seulement d’une réponse à cette exigence, elle est aussi une manière de
retourner le stigmate de la disqualification : en effet maitriser les
écrits professionnels (ou savoir analyser ses pratiques) constitue une manière
de construire des savoirs professionnels. C’est passer d’une simple
opérationnalité technique, cantonnée à la mise en œuvre de procédures et à du travail prescrit, à une conceptualisation
de sa propre pratique. C’est une augmentation de ses compétences
professionnelles, susceptibles de re-donner du sens au travail social, et de
renverser les stigmate de la disqualification.
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