Handicap et situations de handicap
J’avoue être un petit peu agacé de constater dans de nombreux discours (politiques, organisationnels, professionnels) la confusion quasi générale entretenue entre le terme « handicap » et les termes « situations de handicap ». Comme si ces derniers avaient remplacé le premier, sans en changer le sens, la signification. Symptôme peut-être d’une occultation de paradigme inchangés. Le handicap, et l’identification « handicapé » ou « personne handicapée », renvoient à plusieurs sens, qui d’ailleurs ont varié au fil du temps. Si on se réfère à la première classification des handicaps (OMS, 1981, classification dite de Wood), le handicap constitue un ensemble composé de maladies, déficiences, incapacités et désavantage social, catégories liées par une relation univoque de cause à effet. Cette premier conceptualisation fut contestée dès son apparition, et donna lieu à d’autres classifications : PPH, Processus de production du handicap, puis Modèle de développement humain – PPH (1998, 2020, RIPPH) et CIF, Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (2001, OMS).
Par ailleurs, en
France, quand on parle de personne handicapée, on fait référence le plus
souvent à un statut, obtenu en fonction de certaines caractéristiques, et
validé administrativement par une reconnaissance réglementaire, par les MDPH ou
les MDA. Ce statut laisse d’ailleurs de côté bien souvent, ce que l’on nomme le
handicap invisible. Le terme « personne handicapée » désigne par
conséquent d’abord le statut d’une personne. Au-delà de ce statut, et en raison
même de cette catégorisation, il attribue à la personne une identité, celle de
« handicapé ». Il n’y donc pas de problèmes à parler des personnes
handicapées tant que l’on reste dans ces registres de qualification, tant que
l’on fait référence à l’appartenance à une catégorie de population.
Toute autre chose
est de parler de situations de handicap. La notion de situation de handicap,
que l’on trouve clairement expliquée dans le MDH-PPH, relève d’une autre
approche. Identifier des situations de handicap, ce n’est pas identifier les
caractéristiques personnelles d’une personne (ses troubles, ses maladies, ses
déficiences, ses limites, ses incapacités). C’est identifier de quelle manière
une personne peut réaliser (ou ne pas pouvoir réaliser) les habitudes de vie
qui comptent pour lui : est-ce que la personne peut se déplacer pour faire
les courses ? est-ce qu’elle peut faire des apprentissages en maintenant
son attention ? est-ce qu’elle peut jouer au foot dans l’équipe
locale ? est-ce qu’elle peut avoir un contrat de travail ? etc. Si la
personne est en mesure de réaliser ces habitudes de vie, y compris avec des
aides (techniques ou humaines, ou avec des aménagements), sans trop de
difficultés, on pourra dire qu’elle est en situation de participation sociale
pour telle ou telle habitude de vie. Si elle n’est pas en mesure de réaliser
telle ou telle habitude de vie qui compte pour elle, même avec aide ou
aménagement, et avec quelque difficulté, on pourra considérer que la personne
est en situation de handicap pour cette habitude de vie.
C’est pour cette
raison que je suis agacé lorsque j’entends des propos comme : « situation
de handicap intellectuel, situation de handicap moteur, situation de handicap sensoriel,
etc. ». Enoncer ces formulations ne caractérise pas une situation de vie,
une habitude de vie, mais les attributs de la personne, et en particulier là où
cette personne trouve des limites ou a des incapacités. La notion de situations
de handicap, qui est définie comme l’articulation, l’interaction entre une
personne et son environnement, se trouve occultée et niée dans l’utilisation de
telles formulations. Là où la notion de situations de handicap permet d’expliquer
de manière écosystémique des situations vécues, de telles formulations
rabattent la problématique et les explications sur les caractéristiques de la
personne. Il vaudrait mieux dans ce cas utiliser les termes de handicap et
personne handicapée. Les termes « situation de handicap » ne font en
définitive que dissimuler une approche individuelle, et largement bio-médicale
dans un langage qui simule des changements de paradigme.
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