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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mardi 25 mars 2025

lecture : Enquête sur l'évaluation

Enquête sur l'évaluation dans les établissements sociaux et médico-sociaux

de L.FRAISSE, J-L. LAVILLE, M-C. HENRY et A. SALMON, érès, 2025

Voici un petit livre sur les nouvelles modalités d’évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux, celles établies par un nouveau référentiel établi et publié par la HAS en 2022. Petit livre, mais lourd de questionnements et d’interrogations sur les modalités choisies dans ce référentiel, qui dorénavant s’applique à tous les établissements sociaux et médico-sociaux. Prévenons tout de suite ceux qui a priori vouent les critiques de l’évaluation aux flammes de l’enfer immobiliste ou passéiste. Les auteurs sont favorables au principe de l’évaluation, comme source d’amélioration de l’action, des pratiques, des connaissances, des compétences. Non, ce qu’ils interrogent, ce sont les modalités de réalisation des évaluations dans le cadre de ce reférentiel.

Le livre est divisé en cinq chapitres, chacun rédigé par un ou deux auteurs, abordant la question selon différentes entrés.

Le premier chapitre (Jean-Louis LAVILLE, sociologue) est intitulé : Une dérive techniciste. Cette partie a été rédigée à partir des enquêtes effectuées par des étudiants de master d’examen de nombreuses évaluations effectuées tout récemment (évaluations internes et évaluations externes). Les titres des différentes parties de ce chapitre donnent une idée précise de ce qui en a été retiré, avec des constats véritablement étayés.

·        Concernant les cabinets évaluateurs : une vernis de scientificité recouvrant des méthodes floues, des réponses convenues et une méconnaissance des réalités.

·        L’alignement sur l’entreprise : « Les méthodes sont importées de l’entreprise qui implicitement devient un modèle normatif pour toute évaluation » (p.22), qui fait disparaitre le caractère relationnel de l’action.

·        La focalisation sur un contrôle formel dans lequel la conformité écrite avec les procédures établies et exigées devient le critère principal, dont les conclusion bien souvent consistent à « rédiger, tenir à jour, compléter »

·        « de la fétichisation des procédures à l’absence de contextualisation et à la dévalorisation de l’informel et du collectif » (p.32), qui empêche la recherche de solutions, en équipe par exemple, à des problèmes rencontrés dans le travail réel, absents du travail prescrit, et qui remet de l’uniformité là où la singularité est prônée.

·        « Des savoirs professionnels négligés » (p.38), et « des savoirs expérientiels oubliés » (p.43) : les pratiques des professionnels, celles qui leur permettent de surmonter les problèmes quotidiens qu’ils rencontrent, et d’exercer leur créativité dans la recherche de réponses, seuls ou avec d’autres professionnels, ne rentrent pas dans le référentiel.

Et conclut l’auteur : « Toutes ces tendances lourds convergent vers un formatage d’une évaluation au départ conçue pour améliorer les services rendus. » (p.49)

Le second chapitre (Laurent FRAISSE, sociologue) analyse le vécu des usagers et des professionnels face au référentiel de la HAS. Deux services d’une association ont été interrogés à la suite de leurs évaluations. Les constats vont dans le même sens que ce qui a été observé dans le premier chapitre. Les titre des différents paragraphes sont explicites : de l’évaluation à l’inspection ; une normalisation de la posture, du format et de méthodes de l’évaluation ; une conception de la qualité fondée sur la traçabilité et la cotation ; des résultats difficilement appropriables, un référentiel qui rend insuffisamment compte du vécu des résidents et du travail des professionnels. « Le dispositif, visant principalement à la vérification de la conformité des pratiques professionnelles à des protocoles écrits, suscite de la défiance, car il s’intéresse insuffisamment au travail réel des équipes. Il renvoie à une conception de la qualité « comprise comme une somme de normes et de procédures écrites à assimiler et à respecter dans le cadre d’une organisation prescrite de la relation à la personne aidée » (L.Barbe) » (p.85)

Le troisième chapitre (Marie-Catherine HENRY), consacré à l’observation de la passation des évaluations selon le référentiel de la HAS sur le terrain, au sein des associations, conforte les analyses de deux auteurs précédents, et met en évidence l’ignorance du travail réel effectué par les professionnels. « Tous les compromis, arrangements, adaptations, toutes les réponses « sur mesure » qui font le quotidien des relations entre les travailleurs sociaux et les personnes concernées, toute cette capacité d’ajustement dans l’échange, dans la conflictualité parfois, passent à travers les mailles d’une grille de lecture qui envisage un usager type et non des profils variés. » (p.113)

Dans le quatrième chapitre, Anne SALMON, philosophe, réfléchit sur la contextualisation et les enjeux de la nouvelle évaluation dans les établissements sociaux et médico-sociaux. Elle met en garde en particulier sur les risques qu’une telle évaluation fait courir dans les métiers du soin ou du care, en ce qu’elle est susceptible de préparer à des comparaisons, porte ouverte à la concurrence et à la mise sur un marché lucratif, comme le sont déjà certains secteurs (personnes âgées et petite enfance), dont les effets désastreux ont été mis en évidence par diverses enquêtes journalistiques. Elle critique également les impasses dans  lesquelles mènent les modalités choisies pour l’évaluation, avec par exemple le système de notation : « En ne livrant qu’un aspect appauvri du travail réel des professionnels, en quoi [les notes obtenues dans l’évaluation] peuvent-elles les aider à réfléchir collectivement en vue de repenser leurs modes d’intervention . En quoi cela favorise-t-il la recherche de solutions pour améliorer réellement la vie des usagers dans ces établissements ? » (p.141)

Dans une cinquième partie, Marie-Christine HENRY et Anouk COQBLIN font voir de nombreuses expérimentations, innovations, réponses qui sortent d’un cadre prédéfini des fonctionnements sociaux et médico-sociaux. Certaines font preuve d’une grande créativité en réponse à des situations dramatiques et sans solutions, fréquemment vécues par des personnes vulnérables (addictions, vie à la rue…). Les professionnels et les associations inventent des solutions. Qui sont absentes, et délibérément effacées des référentiels, voire contre-indiquées. Elles ne correspondent pas aux rubriques prédéfinies, elle ne font pas l’objet d’une preuve écrite d’efficience, elles démarrent parfois sans moyens attestables dans les critères de l’évaluation.

Je serais tenté de conclure par la dernière proposition formulée dans leur conclusion sur leurs scénarios prospectifs « Le dernier scénario vise à remettre en cause le référentiel HAS, jugé inadéquat à la plupart des établissements. Trop sanitaire, trop normatif, trop descendant, pas suffisamment participatif, compréhensif et explicatif, accréditant des cabinets ayant peu de connaissance du secteur, considérant trop peu les conditions de travail des professionnels et le vécu des usagers, ne faisant que peu de cas de l’histoire et du statut des organismes, l’aménagement du cadre évaluatif n’est pas à la hauteur d’une nécessaire opposition à la dérive managériale du secteur. » (p.207)

Extraits de la présentation de l’éditeur

Le référentiel de la Haute Autorité de santé (HAS) a constitué un véritable choc pour les travailleurs et intervenants sociaux déboussolés par cette nouvelle façon de mesurer à partir d’une profusion de critères. Son irruption est venue infléchir la démarche de l’obligation d’évaluation, introduite au début du XXIe soècle.

L’enjeu de cet ouvrage se distingue des nombreux guides et manuels publiés : il part d’enquêtes faites auprès des professionnels et des usagers en sollicitant leur participation active. Comment vivent-ils l’évaluation ? Comment sont-ils associés ? Quels effets discernent-ils ? Suspendons un moment les jugements des experts pour écouter les personnes concernées, celles et ceux qui sont tous les jours sur le terrain.

Cet ouvrage constitue un document permettant d’alimenter la réflexion des professionnels du travail social, d’apporter des arguments et de porter une parole publique. Il revient sur les différentes étapes de l’évaluation en action et sur les effets générés dans les établissements. Le hiatus entre les normes imposées et la réalité des associations et autres structures dans ce champ d’être questionné.

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