Un triathlon peut-il être inclusif : une réponse avec le MDH-PPH
Ce texte est la rédaction d’une présentation webinaire du MDH-PPH à une équipe de professionnels (APPV, CRR Trisomie 21 Nouvelle Aquitaine, Dispositif Appui Ressource) en date du 18 mars 2025. Le webinaire comportait deux parties : la présentation du contexte et de la réalisation du Triathlon Inclusif (organisé par T’CAP à Nice) par Vivien FONTAINE, et la présentation de la « lecture » de cet évènement à la lumière du MDH-PPH. Ces éléments ont été publiés dans le revue en ligne Inclusion sociale, N° 11(lien)
Quand on (Vivien FONTAINE, Directeur-Fondateur So'IN & Président association T'CAP) m’a parlé pour la première fois d’un triathlon inclusif, mon premier réflexe a été d’être incrédule. Parce quand même, un triathlon, c’est quoi ? C’est une épreuve sportive qui exige des qualités assez exceptionnelles. Si on prend les références olympiques c’est : 1,5 km de natation, 40 km de cyclisme et 10 km de course à pied. Une telle épreuve sportive ne peut pas être, par nature, inclusive, c’est-à-dire accepter tout le monde. Elle est au contraire et par nature excluante, car la majorité de la population ne peut pas réaliser cette activité. Un événement qui exclut la majorité de la population, ou même une minorité, ne peut pas être inclusif.
Et puis ça m’a fait réfléchir. Comment, et dans quelles
conditions, un tel événement pourrait-il devenir inclusif, c’est-à-dire faire
en sorte que tout le monde puisse y participer ensemble : des jeunes et
des vieux, des personnes valides et des personnes handicapées, des personnes
maigres et des personnes obèses, des garçons, des filles, des trans, etc.
C’est là que je me suis tourné vers le MDH-PPH, (modèle de
développement humain – processus de production du handicap) qui permet de
comprendre et d’expliquer les situations de vie des personnes par rapport à de
telles activités, et comment parvenir à rendre les choses inclusives. C’est ce
modèle que je voudrais vous présenter.
Avec un modèle classique d’explication, on ne peut pas
penser les situations inclusives, comme le triathlon. Ce modèle considère le
handicap comme la conséquence d’une déficience ou d’une incapacité de la
personne concernée. Ce modèle est très ancré dans nos cultures sociétales et
professionnelles, et c’est en référence à ce modèle que j’avais eu le réflexe
d’incrédulité. En effet, ce modèle, qu’on appelle modèle bio-médical individuel,
attribue les causes de la non participation sociale, ou du handicap, à la
personne et à ses caractéristiques : trop vieux, pas de triathlon, trop
gros pas de triathlon, handicapé pas de triathlon ; pas de bras pas de
chocolat comme le dit le film Intouchables.
Ça ne peut pas être inclusif parce que la seule solution
dans ce modèle c’est de changer et de modifier les seules causes identifiées, c’est
de changer la personne, ce qui la plupart du temps n’est pas possible :
rajeunir les vieux, faire maigrir les gros, rendre valides les personnes
handicapées. Ce modèle classique est donc une impasse pour rendre quelque chose
inclusif. Si les leviers de changements ne peuvent pas être du côté de la
personne, ils peuvent se trouver du côté de l’environnement. : modifier l’environnement,
interroger les normes, voire les remettre en cause, c’est modifier le
fonctionnement de l’activité que l’on souhaite réaliser.
C’est le cas du
triathlon inclusif, tel qu’il vous l’a été décrit. Mais on peut aussi
généraliser ce modèle à toutes les activités réalisées par les personnes dans
la vie, ce que le MDH PPH appelle des habitudes de vie. Participer à un
triathlon, aller au restaurant, faire des études à la fac, jouer dans une
équipe de foot, aller faire des courses, aller à l’école et y faire des
apprentissages ne sont possibles, pour certaines personnes, ou pour certaines
catégories de personnes qu’à condition que l’environnement devienne favorable à
la réalisation de l’habitude de vie concernée. Par exemple, l’école qui a un
fonctionnement historique dont étaient exclues certaines personnes ne peut pas
être inclusive lorsqu’elle reste sur ce fonctionnement historique.
Modèle de développement humain – Processus de
production du handicap (MDH-PPH)
RIPPH, 2018, QUEBEC
Avec le MDH-PPH, on change de modèle de pensée, on adopte une autre manière de penser les choses, puisque la non inclusion, l’exclusion, la non participation à des activités, les situations de handicap, vont dépendre de l’interaction entre les caractéristiques de la personne et les caractéristiques selon lesquelles se déroulent lesactivités, l’environnement. Ce qui va permettre la participation d’une personne, c’est la modification des conditions de réalisation de l’activité.
C’est quoi ce modèle ? C’est un modèle écosystémique,
anthropologique, qui considère que les situations de vie et le développement
d’une personne, son épanouissement et sa qualité de vie aussi, sont le
« résultat » d’interactions entre les caractéristiques de cette
personne et les caractéristiques de l’environnement dans lequel se réalise l’activité.
Pour toutes les activités de la vie humaine, ce qu’on
pourrait appeler des habitudes de vie comme dans le MDH-PPH, qu’il s’agisse de
la réalisation d’activités courantes ou de l’exercice de rôles sociaux, c’est
la même question qui se pose : comment peut-on faire en sorte que ces
activités soient réalisables par toutes les personnes ? Les conditions de
réalisation se trouvent à la fois dans les caractéristiques de la personne et
dans les caractéristiques de l’environnement, qui peut être un obstacle, une barrière
à la réalisation d’une habitude de vie. Dans le cas du triathlon inclusif, le
challenge est de faire en sorte que les conditions d’exercice de l’activité ne
soient pas un obstacle à sa réalisation.
Je vais maintenant présenter assez rapidement ce modèle,
juste pour que vous ayez une idée de ce que c’est, mais aussi pour que vous
puissiez identifier plus facilement et plus justement les leviers de
développement de participation sociale et de réduction des situations de
handicap, et aussi les leviers des changements souhaités ou voulus par les
personnes concernées.
L’entrée, et le centre du modèle, ce ne sont pas les
déficiences, pas plus que les incapacités, mais bien ce que fait la personne
dans sa vie, ce qu’elle peut ou veut faire, ce qu’elle est empêchée de faire
mais qu’elle voudrait faire, ce qui ne la satisfait pas, ce qu’elle fait
difficilement, etc., c’est-à-dire ses habitudes de vie.
Qu’est-ce qu’une habitude de vie ? Le MDH-PPH définit
l’habitude de vie comme une activité courante ou un rôle social valorisé par la
personne ou son contexte socioculturel selon ses facteurs identitaires.
L’habitude de vie assure la survie et l’épanouissement d’une personne dans sa
société tout au long de son existence. On
identifie 12 catégories d’habitudes de vie. Dans les activités courantes, il y
a : la communication, les déplacements, la nutrition, la conditions
physique et le bien-être psychologique, les soins personnels et de santé,
l’habitation. Dans les rôles sociaux, il y a : les responsabilités, les
relations interpersonnelles, la vie associative et spirituelle, l’éducation, le
travail et les loisirs.
Il y a des habitudes de vie
qui ne nous concernent pas. Il y en a d’autres que je peux réaliser facilement,
ou même parfois avec quelques difficultés. Quand je peux réaliser celles dont
j’ai envie ou qui m’importent, je me trouve dans une situation de participation
sociale. Quand je ne peux pas réaliser une habitude de vie qui m’importe, je
suis en situation de non participation sociale ou en situation de handicap.
Attention, quand je dis « je ne peux pas », ce n’est pas que je n’en
ai pas la capacité, c’est que mes caractéristiques personnelles ne matchent pas
avec les caractéristiques environnementales : par exemple : je suis
une fille de 14 ans, j’adore le foot, il y a un terrain en bas de chez moi, mes
parents ne veulent pas que je joue au foot avec des garçons : je vis une
situation de non participation sociale ; si on me propose un thriathlon dans les normes
olympiques, je ne peux par le faire, parce que les normes ne peuvent pas me
convenir.
On entend très souvent des
formulations comme « situation de handicap moteur, situation de handicap
intellectuel, situation de handicap sensoriel ». Ces formulations
renvoient la problématique aux caractéristiques de la personne, avec ses
déficiences ou ses incapacités, et ne désignent absolumen pas des situations. Non,
les situations de handicap ou les situations de participation sociale renvoient
aux habitudes de vie : je rencontre une situation de handicap dans ma
recherche d’emploi, dans les apprentissages scolaires en classe, dans les
activités sportives de loisirs, dans mes déplacements, dans la préparation des
repas, pour être parent…
Une fois qu’on a identifié, et
que la personne a identifié et exprimé, dans les habitudes de vie, ce qu’il en
est des situations de participation sociale, et -ce qu’il en est des situations
de handicap, on va s’interroger avec la personne concernée sur ce qui va
améliorer sa qualité de vie, c’est-à-dire sur ce qui va diminuer les situations
de handicap qu’elle rencontre.
Sur quoi peut-on agir, quels
leviers y a-t-il, pour favoriser la participation sociale dans les habitudes de
vie ? On l’a vu avec le triathlon : on peut agir sur l’environnement.
L’environnement c’est tout ce qui m’entoure, tout ce qui n’est pas moi :
le médicament que je prends, l’aide que je reçois, là où j’habite, mes parents
et ma fratrie, le pays où j’habite… Il y a des facteurs environnementaux
physiques, comme des escaliers, le bruit, les aménagements de l’appartement,
des poubelles sur le trottoir, etc. Et il y a des facteurs environnementaux
sociaux, comme les lois et règlements, et bien sûr, qu’on oublie souvent, les
représentations qu’on a sur les personnes handicapées, le « regard »
comme on dit aujourd’hui, et qui parfois se traduisent par certains
comportements comme l’indifférence, le mépris, la maltraitance ou le
harcèlement.
Certains de ces facteurs
facilitent la vie des personnes pour réaliser telle ou telle activité : un
ascenceur à la place d’un escalier, un aidant plutôt que sans aide, une AESH à
l’école, une loi favorable aux droits des personnes handicapées. Mais il y a
aussi des facteurs environnementaux qui sont des obstacles à la réalisation
d’activités : par exemple les normes pour un triathlon, mais aussi le mode
de fonctionnementn de l’école, les exigences quant aux conditions de travail,
des lois insuffisantes, le manque de confiance dans l’autonomie de la personne,
des attitudes négatives, etc.
On peut modifier les
conditions de réalisation d’une habitude de vie pour que la personne puisse
réaliser celle-ci. Pour toutes les habitudes de vie on peut ainsi agir sur les
facteurs de l’environnement. Par exemple pour exercer le droit d’aller à
l’école, on peut agir de différentes manières : disposer d’une AESH,
former l’enseignante à l’accueil de l’élève concerné, rechercher des
équipements techniques facilitant des apprentissages, proposer des aménagements
de fonctionnement, etc…
La deuxième série de facteurs
sur lesquels on peut intervenir sont les facteurs personnels, c’est-à-dire les
caractéristiques des personnes. On a vu avec l’exemple du triathlon que ce
n’est pas toujours possible, ni même parfois souhaitable. C’était pourtant auparavant
la seule réponse apportée : la rééducation pour parvenir aux normes était
une obligation, quelquefois au prix de souffrances, et de non respect de la
personne. Dans les facteurs personnels on va retrouver trois domaines : Je
ne vais pas m’attacher longuement sur ces caractéristiques, car ce sont celles qu’on
connait le mieux dans le secteur médico-social (il y a plein de spécialistes
là-dessus) et que ce sont les réponses le plus souvent apportées.
Les facteurs identitaires
sont les caractéristiques qui appartiennent à la personne, comme l’âge, le
sexe, une caractéristiques physique, culturelle,etc. Ils peuvent parfois être
des facilitateurs, et parfois des obstacles.
Les caractéristiques du
système anatomique concernent le fonctionnement du corps : c’est là qu’on
va trouver la notion de déficience, qui est une atteinte du corps, au niveau
anatomique, histologique ou physiologique.
Les aptitudes quant à elles
sont définies comme des possibilités d’accomplir une activité physique ou
mentale. Ce sont des possibilités, qui en tant que possibilités appartiennent
au genre humain, mais qui s’expriment différemment d’une personne à l’autre.
Une aptitude peut ainsi se manifester comme capacité, ou comme incapacité. Par
exemple l’aptitude à la mémorisation, qui est une aptitude intellectuelle, peut
se manifester de différentes manières : capacité complète, capacité
partielle, limites ou incapacité. Dans la classification du MDH-PPH, on va
ainsi trouver la description de 10 catégories d’aptitudes, comme celles liées
aux activités intellectuelles, au langage, aux comportements, aux sens et à la
perception, aux activités motrices, etc.
On a donc avec ce modèle une
explication et une compréhension nouvelles des situations vécues par les personnes,
qu’il s’agisse de situations de participation sociale ou des situations de
handicap.
Quand on s’approprie le MDH-PPH :
·
On ne peut plus penser que le handicap vient de
la personne et de ses caractéristiques (pas de bras pas de chocolat !).
·
On est capable d’identifier les situations de
handicap non pas dans la personne, mais dans les interactions entre les
facteurs personnels et les facteurs environnementaux
·
On ne peut plus penser non plus qu’on peut faire
et penser en lieu et place de la personne : c’est elle qui définit ce qui
améliorerait sa qualité de vie, dans ses habitudes de vie.
·
On est en mesure d’identifier, en particulier
dans l’environnement, ce qui constitue des facteurs des situations de handicap rencontrées
par les personnes,
·
On comprend comment l’inclusion, ou plutôt les
environnements inclusifs sont une condition essentielle à la diminution des
situations de handicap, à l’accès aux droits de tous, et à une amélioration de la qualité de vie
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