Les séparer, pour leur bien.
De nombreux professionnels de l’éducation et de
l’enseignement, ordinaire ou spécialisée, trouvent naturelles et bénéfiques
l’orientation et l’affectation d’« élèves handicapés » dans des
classes spéciales, dans des instituts spécialisés, qui leur sont dédiés. Par
conséquent est considérée comme naturelle et bénéfique l’idée que ces élèves
sont « par destination » hors des classes et des établissements
destinés à tous les autres élèves. Et bien sûr, cette ségrégation est pensée, légitimée,
justifiée, « pour leur bien ». Dans la classe ordinaire, ce ne serait
pas pour leur bien, car il est convenu d’avance qu’ils seraient en écart de
niveau, qu’ils pourraient ressentir négativement le regard des autres, qu’ils
pourraient même être en situation de souffrance, qu’ils apprennent mieux quand
ils sont entre eux, en petit nombre, qu’on leur propose des choses adaptées,
voire avec des méthodes qui seraient mieux adaptées spécifiquement à ce type de
public.
Cette idée de dispositifs spéciaux s’appuie donc sur une
hypothèse, sur un sentiment ou une conviction de leur efficacité, et de
l’inefficacité en miroir des dispositifs ordinaires pour ces populations. Mais
qu’est-ce qui atteste que, aujourd’hui, cette modalité de scolarisation séparée
est plus efficace ? Y a-t-il des évaluations qui mettent en avant que
cette modalité de scolarisation est plus efficiente ?
A défaut de statistiques, on peut procéder par comparaison
pour tenter d’y voir plus clair. Et s’inspirer des nombreuses études qui ont
été réalisées dans le champ des sciences humaines, par de nombreux chercheurs
et avec des perspectives pluridisciplinaires, sur les difficultés et l’échec
scolaires. On peut essayer de voir, par comparaison, ce qui se passe avec des
élèves qui ne sont pas en situation de handicap, mais qui rencontrent des difficultés,
parfois importantes.
Marie Duru-Bellat, une des meilleures spécialistes de
l’école en France, écrit à propos de cette question (in Sciences Humaines, n°
285, octobre 2016) : « La
ségrégation affecte l’efficacité pédagogique elle-même. En effet, regrouper les
élèves les plus faibles – « pour leur bien », dit-on parfois, mais
aussi par le jeu des options ou tout simplement du quartier – fabrique des
classes où les chances d’apprendre sont systématiquement plus faibles :
les enseignants y adaptent leurs ambitions et leurs méthodes au niveau de leurs
élèves, et les élèves eux-mêmes développent –ils savent bien qu’ils sont
faibles – des attitudes et des comportements peu favorables au travail. ».
Si on entre dans cette logique, toute plaiderait en faveur
d’une inclusion (avec beaucoup de tolérance, de bienveillance, de précautions…)
des élèves en situation de handicap dans les classes ordinaires, y compris en
termes d’efficacité pédagogique et d’efficience d’apprentissage. La ségrégation
affecterait de la même manière l’efficacité pédagogique. Cela éviterait aussi
les auto-assignations à l’incapacité qu’on observe avec ces jeunes. (lire un article de ce blog)
Elle poursuit : « Les élèves de milieu défavorisé font preuve, quand ils sont mêlés à des
camarades plus favorisés, de visées scolaires plus ambitieuses. » Dans
la même logique, ces élèves en situation de handicap, dans les mêmes
conditions, pourraient peut-être avoir des ambitions scolaires plus élevées. Ne
serait-ce pas un pari à prendre ?
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