A propos de la circulaire du 8/8/2016 sur la scolarisation des élèves en situation de handicap (texte complet)
Cet article réunit les quatre propos déjà publiés séparément ici même
Le Ministère de l’Education nationale a publié récemment
(B.O. du 25 août 2016) une circulaire sur la scolarisation des élèves en
situation de handicap, intitulée : Parcours
de formation des élèves en situation de handicap dans les établissements
scolaires (Circulaire n° 2016-117 du 8-8-2016).
Une circulaire de plus ? Certes le nombre de textes
réglementaires concernant la scolarisation des élèves en situation de handicap
est important depuis une vingtaine d’années, avec des changements significatifs
sur le terrain, mais aussi des immobilismes et des résistances fortes. Alors
oui, une de plus, mais qu’il importe de « décortiquer » pour voir ce
qui est susceptible de changer, pour peu que des textes réglementaires puissent
changer des pratiques. Je laisserai à d’autres le soin de développer des
herméneutiques de ce texte, je voudrais me contenter de quelques observations
pouvant avoir des effets sur les pratiques.
La « situation de handicap »
Une première observation concerne la terminologie : il
semble aujourd’hui acté que l’on qualifie la population concernée d’élèves en
situation de handicap. Cette terminologie, qui avait déjà cours auparavant,
mais relativement récemment (elle a été utilisée pour nommer les AESH :
Accompagnant les Elèves en Situation de Handicap), remplace la terminologie qui
avait cours précédemment et qui a toujours cours dans la quotidien du
terrain : élèves handicapés, élèves qui ont un handicap (visuel, auditif,
moteur, intellectuel, psychique, etc.), élèves déficients, élèves ayant un
trouble, etc. Ce changement de terminologie est « symptomatique »
d’une évolution des représentations, aujourd’hui présente dans les approches
conceptuelles et des les textes, mais encore très lente dans les
représentations et les pratiques de terrain. Si les mots ne font pas les
choses, de nouvelles représentations peuvent se mettre en place, considérant de
cette façon que la situation de handicap est un rapport entre une personne et
un environnement, et pas attribuable seulement à la personne.
L’inscription dans l’établissement scolaire
La deuxième observation à quelque chose qui est indiqué dès
l’introduction. Est affirmé ce principe : « Les enfants et les adolescents accueillis dans un établissement ou
service médico-social peuvent être inscrits dans une école ou dans un
établissement [scolaire] autre que leur établissement de référence ».
Depuis 2005, et les premiers décrets qui ont suivi, l’inscription des élèves en
situation de handicap dans les établissements scolaires a été, souvent et en
maints endroits, un combat acharné. Je ne parle pas ici du combat des parents
qui ont dû parfois forcer les portes de l’école pour faire valoir ce droit, qui
a aussi été un combat acharné. Je rappelle ici le combat pour faire reconnaitre
dans les établissements de l’Education nationale les enfants accompagnés par le
secteur médico-social. De nombreux acteurs, institutionnels et de terrain, ont
défouraillé des arguments massue afin de soustraire ces élèves en situation de
handicap à l’inscription de droit commun.
Ne parlons pas ici de la notion d’inscription inactive, qui,
comme son nom l’indique, n’avait aucun effet actif sur le droit à la
scolarisation en établissement scolaire : le nom de l’élève était bien sur
des listes, les responsables n’en savaient que faire, et pour l’élève et ses
parents, rien ne changeait. Mais que n’a-t’on pas entendu afin d’éviter ou
refuser cette anomalie administrativo-politico-conceptuelle que serait une
inscription dans un établissement scolaire d’un élève en situation de handicap
accompagné par un établissement médico-social.
A été mise en avant l’impossibilité administrative de la
« double inscription », sous le prétexte trivial qu’il ne fallait pas
les compter deux fois dans les statistiques. Certes ces élèves pouvaient être
déjà scolarisés en établissement médico-social, que ce soit aves des personnels
enseignants de l’Education nationale ou que ce soit avec des personnels
enseignants du Ministère de la Santé et des Affaires sociales. Quelques efforts
d’imagination administrative auraient suffi à résoudre le problème. Mais cet
argument a permis pendant des années d’éloigner les élèves en situation de
handicap d’une véritable place dans les établissements scolaires.
La notion d’inscription inactive (encore !) a également
permis de neutraliser la présence des élèves en situation de handicap dans les
établissements scolaires. Par exemple, un groupe (une classe) d’un
établissement médico-social est bien présent dans l’établissement scolaire, ils
sont « inscrits » sur une liste à part, de manière inactive, a fins
de garantir les responsabilités. Mais ils n’appartiennent à aucune
« classe ». Ils ne sont pas comptés dans les effectifs de
l’établissement (cela ferait des élèves en plus), ils n’ont pas de
« valeur comptable ». Ils sont dans l’établissement, comme de
passage, sans y être vraiment. Mais cette situation a des effets désastreux sur
leur participation aux activités de l’établissement scolaire : dès lors
qu’il s’agirait de faire des essais d’inclusion de l’un ou l’autre d’entre eux,
ils deviennent surnuméraires aux classes déjà constituées. Et donc ils restent
dans leurs dispositifs « d’handicapés ».
Et parallèlement, des obstacles étaient mis, tant par les
professionnels de l’Education nationale que par ceux du secteur spécialisé
médico-social, à leur participation aux activités scolaires d’apprentissage des
élève en situation de handicap : en raison de leur niveau, parfois même en
raison de la spécificité de leurs modalités d’apprentissage (je ne parle pas
ici de la langue des signes, qui n’est un obstacle que par défaut
d’accessibilité), ils ne pouvaient être avec les autres élèves, alors même que
le système éducatif devrait être un système éducatif pour tous. N’étant pas
capables d’être avec les autres élèves, il n’y avait aucune raison de les
inscrire, d’autant plus qu’ils avaient une scolarité spécialisée ailleurs, cet
ailleurs pouvant d’ailleurs se trouver au sein de ce même établissement scolaire.
L’inscription pouvait aussi être refusée pour des raisons
« politiques », liées en particulier à l’organisation scolaire des
collectivités. L’exemple type est la classe externalisée en sursis dans une
école, dont la pérennité est liée à la manière dont la collectivité
territoriale va gérer les pressions de populations pour les inscriptions à
l’école, « leur » population de zone étant prioritaire sur des élèves
hors zone, venant d’autres communes vers l’établissement médico-social.
Et argument plus trivial, dont il était difficile de faire
la publicité, il y avait aussi des enjeux de pouvoir, et en particulier, du
côté du secteur médico-social, des responsables considéraient d’un mauvais œil
une inscription en établissement scolaire ordinaire qui restreignait leur
main-mise sur les populations concernées.
Concernant l’ensemble des ces obstacles, ce texte devrait
permettre de discuter (et d’avancer !) entre responsables des
établissements médico-sociaux, responsables académiques, responsables
d’établissements scolaires et responsables des collectivités des droits
désormais acquis des élèves en situation de handicap d’être inscrits à part
entière, même lorsqu’ils sont accompagnés collectivement par un établissement
médico-social, même s’ils ne sont que peu inclus dans les différents cours des
classes de l’établissement d’accueil. L’enjeu est maintenant d’accéder à une
véritable inscription de ces jeunes dans le système de droit commun auquel ils
ont droit.
Et l’on peut espérer que cela leur donnera véritablement des
droits, non seulement de participer aux sorties et voyages scolaires (ce qui
est la moindre des choses), mais aussi de participer aux cours dans quelques
essais d’inclusion qui ne pénaliseront pas les autres élèves en venant se
rajouter en surnombre à des classe parfois surchargées.
Une priorité inclusive
La troisième observation a trait aux « réponses
différenciées pour une école inclusive ». Délibérément, la hiérarchie des
réponses se situe du côté de l’Education nationale, avec les ressources propres
(ressources humaines et dispositifs). Derrière cette injonction, il y a une
règle fondamentale avec une différenciation entre d’autre la notion de
situation de handicap (l’école s’adresse à tous les élèves sans aucune
distinction), qui requiert des réponses par conséquent de droit commun, et
d’autre part la notion de « personne handicapée », et disposant de ce
statut selon les règles en vigueur dans les MDPH.
Sans avoir le statut d’élève handicapé, et que cet élève ait
ou non une maladie, un trouble ou une déficience, il a le droit en premier lieu
de bénéficier d’une « réponse de droit commun ». Là où auparavant, le
choix se faisait dans une alternative d’égale valeur en quelque sorte entre
l’enseignement de droit commun et l’enseignement spécialisé (les choses avaient
toutefois avancé depuis la loi de 2005), avec cette circulaire, une hiérarchie
est instituée. L’école inclusive se doit de trouver des réponses en son sein
pour répondre aux difficultés d’apprentissage (et autres ?) de tous les élèves.
Et parmi tous ces élèves, certains peuvent avoir des « mesures nécessitant
de recourir à la MDPH ».
Pour cela l’Education nationale met en place des
dispositifs, dont on peut certes critiquer les insuffisances (sur le plan des
moyens ou des méthodes, ou même sur le plan des principes au regard de la
notion d’école inclusive), mais qui ont le mérite de baliser les injonctions à
élaborer les réponses adéquates. Il s’agit des PPRE (Programme Personnalisé de
Réussite Educative), le PAI (Projet d’Accueil Individualisé) et le PAP (Plan
d’Accompagnement Personnalisé). Ce dernier dispositif est significatif des
évolutions en cours. Il s’adresse aux élèves qui rencontrent « des
difficultés scolaires durables en raison d’un trouble des apprentissages »
de trouver des réponses adaptatives (« aménagements et adaptations
pédagogiques ») au sein de l’établissement scolaires, là où auparavant ces
aménagements ne s’imposaient, au mieux, que par la qualification d’un statut
d’élève handicapé par la MDPH.
Dans ces dispositifs, de même que dans les réponses évoquées
« nécessitant de recourir à la MDPH », il n’est nullement question
« d’enseignement spécialisé ». On avait pu remarquer déjà, depuis
quelques années dans l’ensemble des textes publiés, la disparition de cette
notion, alors même qu’elle reste ancrée de manière radicale dans les discours
et pratiques de terrain. Ce texte témoigne en quelque sorte de la disparition
de la notion d’enseignement spécialisé en tant que dispositif spécifique
organisé à destination de catégories de populations, avec pour conséquences
concrètes une exclusion du droit commun, au profit de la création, de
l’invention et de l’élaboration, au sein des organisations de droit commun, de
réponses en termes d’enseignement, d’adaptation et d’accessibilité.
Cela ne supprime pas pour autant l’expertise développée par
des enseignants auprès de ces catégories de populations, mais on peut regretter
que rien se soit dit concernant les nécessaires changements de missions de ces
enseignants qui disposaient (et qui devront encore sans aucun doute disposer)
d’une expertises « spécialisée ».
Le rapport entre PPS et PIA
La quatrième observation concerne les rapports entre le
Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS) et le Projet Individualisé
d’Accompagnement (PIA) ou Projet Personnalisé d’Accompagnement (PPA).
Longtemps, il a été question de la prééminence de l’un ou de l’autre de ces
projets. Dans les différents discours sur le rapport entre ces deux projets,
tantôt l’un était dans l’autre, tantôt l’autre était dans l’un. Du côté du
secteur médico-social en particulier, les professionnels et les responsables
voyaient souvent d’un mauvais œil les interprétations donnant la priorité ou la
prééminence au PPS, avec différentes argumentations : l’enfant ne se
réduit pas à l’élève, il faut d’abord « soigner » avant de pouvoir
apprendre, l’éducation globale prime sur les apprentissages scolaires, etc.
Cette circulaire confirme la place de l’un et de l’autre, en
prolongeant les textes de 2009 sur les Unités d’Enseignement (Arrêté du 2 avril
2009) et sur la coopération entre l’Education nationale et les établissement et
services médico-sociaux (Décret n° 2009-378 du 2 avril 2009). Le PPS n’est de
l’initiative ni de l’Education nationale, ni d’un établissement médico-social.
Il est « l’un des volets de Plan Personnalisé de Compensation »,
élaboré par la MDPH en fonction du projet de vie, avec l’accord et la
participation de l’usager et de sa famille. Par conséquent il s’impose pour
tous les enfants et adolescents d’âge scolaire : le « métier »
d’un enfant, de tous les enfants, c’est d’être scolarisé. « Il convient,
dit le texte, de veiller à donner la priorité au caractère effectif de la
scolarisation. » Malheureusement, il n’est pas précisé comment le PPS est
élaboré, seule les modalités de sa mise en œuvre sont précisées.
Un autre volet du Plan Personnalisé de compensation est une
orientation vers un service ou un établissement médico-social. Et c’est à ce
titre, et conformément à la loi du 2 janvier 2002, qu’est rendu obligatoire le
Projet Individualisé d’Accompagnement (PIA) ou le Projet Personnalisé
d’Accompagnement (PPA). La détermination réglementaire entre ces deux termes
n’est pas encore totalement fixée.
Cette circulaire le confirme donc : ce n’est pas le PPS
qui est l’un des volets du PIA (ou PPA), comme ont pu le prétendre certains
afin de soumettre la scolarisation aux impératifs de l’action
médico-sociale ; au contraire, c’est la mise en œuvre du PPS qui constitue
un des volets du PIA ou du PPA. Autrement dit, l’établissement ou le service
médico-social doit se préoccuper, dans son action d’accompagnement, de ce
qu’enjoint le PPS, soit en développant des actions qui contribuent à sa
réalisation, soit en développant des actions complémentaires, mais en aucun cas
des actions qui seraient susceptibles de faire obstacle aux modalités ou
objectifs de scolarisation du PPS. Il y a donc, d’une certaine manière (dans
les objectifs visés en particulier), soumission du PIA ou du PPA au PPS, dans
la mesure ou les premiers doivent obligatoirement prendre en compte le second
dans sa mise en œuvre comme l’un de ses volets.
Cette notion de complémentarité du PIA ou du PPA par rapport
au PPS est également confirmée dans la récente instruction concernant les
cahiers des charges des Unités d’Enseignement, en particulier externalisées
(Instruction DGCS/33/2016/207 du 23 juin 2016).
Cette circulaire confirme donc le basculement dans la
préoccupation première de la scolarisation, et d’une scolarisation
significative. Les accompagnements complémentaires dorénavant s’articulent
autour de cet objectif et les établissements et services médico-sociaux ont
l’injonction d’agir « toujours dans le sens d’une démarche la plus
inclusive possible pour le jeune élève.
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