Inclusion : des obstacles invisibles
On déplore, à juste titre, que la société soit loin d’être
inclusive. A l’appui de cette assertion, les arguments ne manquent pas :
des organisations et institutions de droit commun excluantes, des carences dans
l’accessibilité, un manque de moyen criant dans certains secteurs, la
pérennisation des catégories spécifiques et de leurs dispositifs, etc… Il est
vrai que l’on se félicite dans le même temps que toutefois les choses changent,
même si les évolutions sont insuffisamment rapides.
Dans la présentation habituelle de cette situation, les
obstacles qui sont mis en avant sont des obstacles de
« superstructures », matérielles ou organisationnelles. Mais il se
trouve que, même lorsque ces obstacles sont levés, et il faut reconnaitre que
le projet politique depuis de nombreuses années va dans ce sens, quelle que
soit la couleur politique du pouvoir, et bien, on se heurte quand même à une
muraille de verre qui interdit de fait toute évolution majeure. Il y a par
conséquent des obstacles invisibles, subconscients ou inconscients, qui
constituent la trame de pensée, d’attitude, de réflexe, tout ce qui constitue
les mentalités et les représentations. Celles-ci ne sont en effet peut-être pas
si inclusives que ce que le discours politique unanime laisse percevoir.
L’examen de la situation de la surdité et des sourds permet
d’illustrer le propos. On a assisté depuis maintenant plusieurs décennies, et
grâce aux combats des sourds eux-mêmes, à leur visibilisation dans le paysage
social et sociétal et à une certaine reconnaissance de leurs spécificités. La
reconnaissance de la langue des signes comme langue de communication, de pensée
et d’éducation a été reconnue en 2005, et le nombre de locuteurs, sourds ou
non, l’utilisant a augmenté. La communauté sourde s’est fait connaitre dans le
grand public comme dans la recherche. Les niveaux de scolarisation et de
formation se sont élevés. L’accessibilité s’est développée dans les médias, le
travail ou la culture. Il est même évoqué, pour définir la population des
personnes sourdes, la catégorie de minorité linguistique plutôt que la
catégorie de personnes handicapées. Bien évidemment, les choses ne vont pas
assez vite et nombre de situations manifestent encore des phénomènes
d’inclusion.
En face de ces évolutions, les médias et les réseaux sociaux
mettent en valeurs d’autres indicateurs. Ils privilégient bien souvent des
personnes qui ont surmonté leur handicap, à force de prothèses, de rééducations
et d’efforts surhumains (comme si c’était ce qui les rendait véritablement humains).
Qui ont surmonté l’obstacle du sonore : les personnes qui parlent bien,
celle qui est devenue avocate (oralisante), celui qui est normal parce qu’il
communique oralement avec des amis entendants, etc. Il y a comme un inconscient
collectif, dans lequel les valeurs de normativité sont bien présentes, qui
mettent en avant la ressemblance acquise (parfois durement) et ignorent des
différences « vitales » psychologiquement et socialement. Il s’agit
là d’« oralo-centrisme », et le validisme entendant prévaut.
La surdité, en tant que caractéristique, relève d’une même
approche. Il n’est que de consulter le site Doctissimo, emblème d’une
approche médicale grand public, pour voir que la surdité est considérée comme
une maladie à guérir, une caractéristique qu’il faut éradiquer et faire
disparaitre. La page « Troubles de l’audition : dépistage de la
surdité » comporte 5 chapitres nommément et strictement médicaux.
L’approche est identique dans la page « Surdité de l’enfant ».
Nulle part n’est mentionnée la langue des signes, ou une éducation bilingue. La
seule perspective est celle de la compensation prothétique, de la rééducation
et de la maîtrise de la langue orale. On ne peut donc s’étonner de la
généralisation du diagnostic à la naissance, de la généralisation de l’implantation
cochléaire, de l’éducation oraliste. Au détriment de la reconnaissance des
besoins des personnes sourdes, de leurs aspirations, du respect de leurs
caractéristiques. Ce n’est pas ainsi que la société devient accueillante aux
personnes sourdes, ni ne devient inclusive.
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