Institution et désinstitutionnalisation
Lorsqu’on évoque la participation sociale des personnes en
situations de handicap, le développement de leur pouvoir d’agir, la
valorisation de leurs rôles sociaux, leurs droits et l’accès à ces droits, le
respect de leurs aspirations, deux notions viennent immédiatement à l’esprit,
la société inclusive et la désinstitutionnalisation, comme deux modalités
d’accès à cette nouvelle place des personnes en situation de handicap dans la
société. La désinstitutionnalisaton peut être envisagée selon deux orientations,
fondamentalement différentes.
Dans la première orientation, la désinstitutionnalisation
constitue un objectif de transformation, d’une organisation médico-sociale
fermée à un accompagnement ouvert dans les diverses institutions mainstream de
la société, via des services souples et adaptés. C’est cette orientation que
l’on trouve mise en avant dans les politiques publiques organisant le secteur
médico-social, à travers des outils de transformation de l’offre :
contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, SERAFIN-PH, évaluations,
reddition de comptes, appels d’offres… C’est aussi ce qui constitue le marché
des nombreux consultants, évaluateurs, formateurs, coachs intervenant dans le
secteur : l’institution est la représentante du passé, l’objet négatif à transformer
ou à faire disparaitre, le lieu maudit d’abus en tous genres. Tout n’est pas
faux, loin de là, dans les critiques que l’on peut adresser aux institutions,
et qui par conséquent rend nécessaires les objectifs de transformation.
Mais les choses ne sont jamais aussi simples que ce que
voudraient mettre en évidence les anathèmes des experts et les injonctions des
politiques publiques.
Il y a peu, une professionnelle me faisait part de cette
situation. Elle travaille dans un dispositif d’unité d’enseignement
externalisée (pour élèves sourds), qui n’a pas attendu les derniers décrets
pour se délocaliser dans un groupe scolaire maternelle et élémentaire, depuis
plus de vingt ans. La simple délocalisation initiale d’origine s’est peu à peu
transformée en un dispositif pratiquant, pour la plupart des élèves, sur des
temps variables, des temps d’inclusion accompagnée, importants pour certains
d’entre eux. Arrivent dans le dispositifs deux jeunes élèves,
« agités » sur le plan comportemental et relationnel. Au bout de
quelques semaines, l’institution scolaire (avec tous ses acteurs) fait le
« constat » que ces deux élèves, même s’ils sont accompagnés en
permanence dans leurs activités, n’ont pas leur place dans l’école. Voilà donc
l’institution contrainte de réinstutionnaliser un dispositif, de recréer un
groupe (avec deux élèves !) au sein de l’institution, qui n’accueille par
ailleurs aucun autre jeune (tous sont en effet externalisés). Cette
professionnelle, pourtant très favorable à l’inclusion, se trouve contrainte de
penser que celle-ci n’est pas possible. Non pas parce que par nature les
enfants en situation de handicap seraient destinés à des dispositifs
particuliers et spécialisés, mais tout simplement parce que l’environnement
ordinaire n’en veut pas, quels que soient les efforts d’accompagnement qu’elle
déployait. La désinstitutionnalisation ne fait pas la société inclusive.
La seconde orientation, bien plus complexe à concevoir et à
mettre en œuvre, envisage la désinstitutionnalisation comme une conséquence
d’un changement social, et l’objectif de travail sur la transformation de
l’institution incluante. L’institution n’a plus lieu d’exister dès lors que la
société devient ou est devenue inclusive. La désinstitutionnalisation devient
une conséquence sociale d’un changement social et sociétal. Elle se fait à la
mesure et au rythme de la qualité inclusive de la société. Lorsqu’elle se fait
à marche forcée, sans que la société ou l’école deviennent inclusive, elle ne
peut que justifier le retour aux institutions, et le constat du manque de place
dans les institutions. Mettre la désinstitutionnalisation comme objectif
comporte le risque d’immobilisme ou de régression ; mettre la
transformation sociale des institutions mainstream comme objectif garantit
davantage les possibilités de participation sociale des personnes en situation
de handicap.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire