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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 8 avril 2020

lecture : L'effet Louise

L'effet Louise
de Caroline BOUDET (Stock, 2020)


J’aurais pu commencer ce texte en indiquant que les décideurs politiques et institutionnel devraient avoir obligation de lire ce livre. Mais il a apparemment été lui en haut lieu, jusqu’à la présidence de la République, avant la conférence nationale du handicap. Si on postule que les lectures ont des effets sur la vie, on devrait voir les choses rapidement et radicalement changer dans les situations de handicap des enfants qui ont une trisomie 21 ou d’autres déficiences. Reste à vérifier si cela aura ces effets ! Toujours est-il que loin des affirmations politiques et des jeux médiatiques sur l’école inclusive et sur les mesures « importantes » qui auraient été prises ou qui seront prises pour l’inclusion des élèves en situation de handicap, ce livre de la mère d’une petite fille, Louise, ayant une trisomie 21, témoigne d’une autre réalité récente (la petite fille est née en 2015). La réalité des institutions, de la MDPH à l’école, qui ne sont nullement inclusives, qui n’arrêtent pas de mettre des obstacles à des droits auxquels pourraient prétendre cette enfant et ses parents, qui n’arrêtent pas de peser de tout leur poids de fonctionnement sur la vie quotidienne de ces parents (dossiers, attente, re-dossier, réunions…) et de Louise.

A travers un récit plein d’humour et de beaucoup d’émotion, Caroline Boudet exprime son amour pour sa fille née différente, et sa colère face aux obstacles qui sont déployés pour rendre sa vie quotidienne difficile. « Le handicap n’est pas la trisomie, c’est le système administratif qui a transformé sa vie en une montage de photocopies et de certificats médicaux ». Elle pointe ici quelque chose de fondamental : la plupart du temps on attribue le « handicap » à la personne qui a une déficience, un trouble, une incapacité. Alors que la situation de handicap vient plutôt de l’incapacité de l’environnement à s’adapter aux conditions et caractéristiques de la personne concernée. L’environnement peut ainsi produire le handicap et les situations de handicap. Et pire, quand c’est justement l’institution destinée à ce genre de situations qui produit du handicap. « La réalité, donc, c’est que ce ne sont ni les limites de Louise ni sa lenteur à avancer sur le chemin de l’enfance, à communiquer, à marcher, à manger seule, à faire ses besoins, à dessiner un bonhomme patate ou à chanter une chanson qui sont des problèmes au quotidien… Non le vrai handicap, …, c’est le système. Celui-là même qui « en théorie » est censé t’aider… C’est une vie parallèle … faite de photocopies, de dossiers de plusieurs kilos, de certificats médicaux, de relances par courrier par mail par téléphone, d’attente, d’absence de réponse, de demandes de pièces supplémentaires. » (p.13-14).

Je ne vais pas évoquer ici toute la richesse du livre sur la manière dont des parents réagissent, avec des bas et des hauts, de l’amour et des colères, des déceptions et des espoirs, lorsqu’une enfant nait avec une différence comme la trisomie 21. Ni non plus combien ce livre pourrait éclairer et dissiper nombre de préjugés sur ce qu’est une enfant comme Louise, et éloigner les craintes qu’ont encore de nombreuses personnes, y compris des professionnels de l’éducation, concernant les enfants qui ont, comme Louise, une trisomie 21.

Ce livre peut aussi donner à voir à des professionnels, tentés de dispenser des savoirs sur ce qui devrait être fait avec une telle enfant et sa famille, quelle peut être la réalité d’une famille dans cette situation, et que la vie quotidienne n’est pas simple (exigence des rendez-vous dans la journée par exemple). Et que, en dépit de toutes les mises en garde sur les incapacités prévisibles et pour ainsi dire programmées dans l’esprit de certains de ces professionnels, l’enfant donne tout un tas de satisfactions à ses parents.

Et puis dans cet objectif (« de mise sur orbite ») de scolarisation en école maternelle aux trois ans de Louise, le récit de Caroline Boudet décline tous les obstacles à franchir, et ils sont nombreux, pour faire valoir de considérer que leur fille ait le droit d’aller à l’école dans des conditions satisfaisantes, c’est-à-dire avec des moyens spécifiques. Et là on a affaire à du grandiose ! Les dispositifs sociétaux et administratifs disposent, construisent, édifient, échafaudent, agencent des obstacles à s’inscrire dans des situations banales (comme la rentrée en maternelle), et contribuent ainsi à faire d’une situation familiale avec une enfant qui a une trisomie une véritable course d’obstacles et une véritable situation de handicap.

Ah ! Cette réponse administrativement exemplaire : « Ça n’est pas possible. – Pourquoi ça n’est pas possible ? Parce que … ce n’est pas possible. Ça ne se fait pas. On ne l’a jamais fait. » (p.129), prolongée sur le même registre par l’entretien avec l’Inspectrice de l’Education nationale, alors que sur le terrain, les personnes qui auraient eu à mettre en place la scolarisation en maternelle s’étaient préalablement mises d’accord sur les modalités (avec entre autres des interventions dans l’école de différents professionnels) ! Je peux moi aussi témoigner, de mon ancienne place de responsable d’un service d’accompagnement à l’inclusion d’enfants en situation de handicap, de cette réponse maintes fois entendue de la part de responsables de l’administration de l’Education nationale.

Quand il s’agit concrètement d’organiser les choses, sur le terrain, il y a des professionnels accueillants, qui font tout pour faciliter la vie des enfants et de leurs parents (personnels de la crèche, future enseignante de maternelle, responsable du péri-scolaire), des gens « qui n’ont pas de problèmes éventuels, mais qui prévoient des solutions. » (p.157). C’est ainsi que Louise a été accueillie à la crèche. « Au tour de Véronique, sa référente de crèche… Elle qui côtoie Louise cinq jours sur sept depuis trois années maintenant, comment cela se passe-t-il ?... Elle se souvient très bien. Quand la directrice de la crèche lui a annoncé qu’elle aurait dans son groupe de bébés une petite fille avec trisomie 21, elle a d’abord eu peur de ne pas savoir bien faire : après tout, dans sa formation, le handicap se résumait à un survol théorique de quelques heures. Et puis, elle a rencontré Louise. Jour après jour, elles ont fait connaissance, ses habitudes, son caractère, ses regards, sa manière bien à elle de s’exprimer ou pas, ses progrès, ses moments difficiles, les maladies, les bonds en avant des progrès. Et au final, elle se rend compte que Louise lui a beaucoup plus apporté qu’elle n’a pu lui donner. » (p.103). Mais la technologie administrative (une technocratie mâtinée de bureaucratie) intervient et met des barrières infranchissables à la scolarisation des élèves en situation de handicap, à l’inclusion.

La prétention inclusive se heurte à des habitudes, des modes de fonctionnement, des modalités de rapport aux gens, qui sont loin de favoriser quelque chose qui somme toute devrait être banal, normal, sans montagnes à soulever. Les délais de réponses de la MDPH, les arides et incompréhensibles courriers des notifications, les réactions dissuasives et suspicieuses de professionnels qui savent d’avance que ce sera compliqué de mettre en place quelque chose de satisfaisant, tout cela fait de la démarche des parents, qui ne demandent en définitive que quelque chose de banal, de pouvoir faire des choix comme tout le monde, une démarche qui en viendrait presque à être illégitime et réprouvée, sauf à se battre en permanence. Pour aboutir à cette impression persistante « que nous sommes là à quémander la charité, pas à demander le respect des droits de notre fille » (p.168), c’est-à-dire renvoyé aux conceptions archaïques du handicap et des handicapés, objets d’exclusion, de charité ou de bienfaisance.

Une société inclusive serait une société où des parents qui ont un enfant en situation de handicap pourraient comme n’importe quels parents faire le choix d’éducation qu’ils souhaitent, où il n’y aurait pas d’obstacles mis administrativement à leurs choix de parcours. Une société où ils trouveraient au contraire des facilitateurs, où l’on ne se poserait pas la question permanente de comment faire avec cet enfant pour qu’il aille à la crèche, à l’école, au centre de loisirs, mais que cela se fasse naturellement, avec les « facilitateurs » nécessaires. Il y a déjà tant de choses spéciales à faire (les rendez-vous, les exercices…) que c’est vraiment inqualifiable d’imposer en plus des obstacles à la participation à la vie normale. « L’inclusion scolaire », c’est un peu comme la paix dans le monde ou la fin du cancer. Tout le monde est pour, jusqu’à ce que ça coûte : du temps, de l’argent, des efforts personnels, le confort de son propre enfant, un « ralentissement de la classe » (p.116).

Et, dernière remarque : ce livre est drôle et émouvant. A lire, à lire, à lire, et à faire connaitre.

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