Une procédurisation pléthorique
On a pris conscience aujourd’hui qu’un excès de procédures,
de préconisations et de réglementations (aviation, industrie, administration)
pouvait conduire à des contre-performances de production, à des impossibilités
de décision voire encore pire à des accidents industriels et humains. Sans
atteindre les sommets des milliers de procédures qu’on trouve dans l’industrie,
le secteur médico-social s’imprègne progressivement de cette nécessité (autant
idéologique que fonctionnelle) pour mettre en place des procédures plus ou
moins encadrées et précises pour les moindres des interventions des
professionnels du secteur.
Les choses se dénaturent parfois dès lors qu’il s’agit de
formaliser les procédures d’accueil. A vouloir faire de la qualité totale, de balayer
et de formaliser toutes les éventualités, on s’égare parfois dans des voies
sans issues.
Pendant de nombreuses années, il m’est arrivé de recevoir
des parents souhaitant « orienter » leur enfant sourd vers l’Institut
spécialisé pour enfants sourds, et parfois aussi avec une entrée en internat.
Je crois avoir toujours eu le souci de bien les accueillir, d’être à leur
écoute et d’évaluer avec eux la pertinence des services qu’ils pouvaient
attendre de l’institution. Bien souvent, leur demande première était celle de
la scolarisation, en particulier avec l’utilisation de la langue des signes, et
à laquelle il fallait parfois ajouter une demande de poursuivre le
développement de la langue orale (demande d’orthophonie). Et puis, petit à
petit, lors de cette première rencontre, il fallut mettre en place des
procédures : présenter le livret d’accueil, le contrat de séjour, les
différentes visites nécessaires à l’entrée dans l’établissement, le second
rendez-vous où ils allaient rencontrer le médecin, le psychologue et peut-être
même l’orthophoniste. Tout cela, parce que la réflexion sur les procédures
incluait ces visites / consultations (« on est un établissement
MEDICO-social quand même ! »).
L’utilisation de tous ces outils, la mise en œuvre des
procédures témoignant d’une démarche qualité, la peur de ne pas appréhender
tous les risques, la conformation aux exigences institutionnelles de l’entrée
médicale et médico-sociale plutôt que la préoccupation de répondre à leur
demande concrète, la conformité à la procédurisation des actions dans les
politiques publiques, tout cela écrase en réalité la demande des parents pour
la soumettre aux conditions de l’organisation médico-sociale institutionnelle.
Ils viennent là pour voir comment on peut aider leur enfant à améliorer sa
participation sociale dans son développement scolaire, ils ressortent en
considérant leur enfant comme l’objet des procédures de l’établissement, comme
un usager de l’établissement médico-social plutôt que leur enfant, avec toutes
les images et représentations attachées à ce statut (cette ontologie) de
l’usager handicapé. Personnellement, j’estime que j’ai mis en œuvre bien
souvent un meilleur accueil sans toutes ces procédures qu’encombré par la
nécessité de me conformer à cette procédurisation dans son déroulement immuable
et complet.
La pléthore des procédures et leur envahissement dans les
relations entres les professionnels et les « usagers » conduit à
accueillir « anormalement » des personnes et leurs demandes, là où un
accueil « normal » et humain, maladroit parfois peut-être, eût été plus
favorable à la qualité du travail, et de l’accueil lui-même.
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