"Les sourds, c'est pas pareil !"
Les sourds font partie des personnes handicapées :
c’est une évidence pour le sens commun comme pour les politiques sociales et
médico-sociales. Mais il importe de se méfier des évidences. Les personnes
sourdes elles-mêmes ne s’identifient pas comme personnes handicapées : « Les sourds, c’est pas
pareil ! ». Cette restriction posée par les premières personnes
concernées par le problème mérite d’interroger l’évidence de l’appartenance des
personnes sourdes à la catégorie des personnes handicapées.
C’est ainsi que les sourds, en particulier à l’origine les
enfants sourds à éduquer, en raison de l’existence d’une particularité physique
(une déficience auditive) et de ses conséquences sur l’accès au langage
courant, ont fait partie de la catégorie « handicapés ». Avec tous
les avantages auxquels donne droit le statut, mais aussi avec toutes les
représentations, le plus souvent négatives, rattachées au statut. Ils ont fait partie
de la catégorie « handicapé », et non de la catégorie « minorité
linguistique » par exemple.
Alors oui, « les
sourds, c’est pas pareil ! ». Car s’il y a lieu d’utiliser cette
expression, ce n’est pas tant pour se distinguer des autres catégories de personnes
handicapées, c’est surtout pour pointer l’injustice qu’il y a à mettre dans une
catégorie générale des personnes qui se situent sur un autre registre.
Non pas que les sourds ne rencontrent pas de situation de
handicap : le monde majoritaire n’est pas adapté à eux, et ils rencontrent
par conséquent des difficultés à avoir une participation sociale satisfaisante.
La caractérisation des personnes sourdes par leur déficience est le fait de
« l’idéologie » déficitaire qui place la frontière de la normalité
sur l’intégrité des organes et des fonctionnements physiques ou psychiques. C’est
par conséquent les conditions sociales de reconnaissance des personnes sourdes
qui les placent dans la catégorie des handicapés. D’autres personnes tout aussi
exclues de la société (les migrants, les SDF,…) ne font pas partie de cette
catégorie, n’ont pas le statut de personnes handicapées.
Les sourds ont eu la chance de pouvoir se construire une
identité positive (langue des signes, culture sourde) qu’ils considèrent comme
faisant partie de la diversité humaine ; s’il y a handicap, c’est parce
que la société ne reconnait pas cette identité.
Cette revendication se heurte aux impératifs gestionnaires
et organisationnels en ce qui concerne l’accès aux droits. Pour bénéficier des
droits (compensation, ressources, accessibilité, éducation, travail…), les
sourds sont contraints de s’adresser comme toutes les personnes handicapées, à
la MDPH pour faire reconnaitre leur handicap. Ils sont contraints de
s’identifier comme handicapés alors qu’ils revendiquent le contraire. Bien
évidemment, cette démarche est nécessaire, mais du point de vue de la
technologie politique, pas du point de vue des personnes.
Le « les sourds,
c’est pas pareil » nous convie à dépasser les effets d’une catégorisation
d’un ensemble de population, où, pour avoir le plus petit dénominateur commun,
on ignore et dénie les particularités.
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