Donner plus à ceux qui ont plus...
Des enseignants spécialisés viennent me faire part des
besoins d’enseignement spécialisé (c’est-à-dire du travail qu’ils vont fournir)
qu’ils ont évalué pour des jeunes sourds au collège. Ces jeunes sourds
constituaient deux groupes ; le premier groupe comportait quatre jeunes
sourds complètement inclus dans une classe du collège, accompagnés sur toutes
les heures de cours par des enseignants spécialisés ou des interfaces en langue
des signes ; le second groupe, comprenant cinq élèves ayant davantage de
difficultés dans les apprentissages et du retard scolaire par rapport aux
élèves de leur âge, bénéficiait d’un enseignement spécialisé en petit groupe
pour l’essentiel des cours, sauf en arts plastiques et en éducation physique et
sportive, où ils étaient inclus, et accompagnés, dans une classe du collège.
A mon étonnement d’une telle différence de traitement, il me
fut répondu que les élèves du premier groupe, comparativement aux élèves
entendants avec lesquels ils avaient cours, avaient davantage de difficultés de
concentration, d’apprentissage, de mémorisation, de fatigabilité, et qu’il
fallait par conséquent leur donner une compensation sous forme de soutien. Et
que les seconds, avaient davantage de difficultés de concentration,
d’apprentissage, de mémorisation, de fatigabilité que les premiers, et qu’il
fallait par conséquent les ménager et leur enlever des heures. Il fallait donc
en donner plus à ceux qui avaient plus, et donner moins à ceux qui avaient
moins, les ressources disponibles étant contraintes.
L’idée d’égalité face au droit à l’enseignement aurait
pourtant dû conduire à une autre répartition, assortie certainement d’une
modification des pratiques pédagogiques pour construire des conditions motivantes
pour ceux qui n’étaient pas d’emblée dans les apprentissages souhaités.
Imagine-t-on donner plus d’heures à des élèves sages et obéissants d’une école
sans problèmes et enlever des heures ou des maîtres à une école de ZEP ou avec
des élèves agités, non « scolaires », se concentrant
difficilement ? Imagine-t-on donner plus d’heures à des filles appliquées
aux apprentissages scolaires (représentation a priori) et moins d’heures à des
garçons plus agités ou distraits ?
A la question de répartition des moyens, lorsque ceux-ci
sont contraints, et lorsque les besoins sont évalués en fonction des
représentations et des principes a priori (handicap = difficultés ;
handicapé = plus de temps ; difficultés = réduction des apprentissages),
on en arrive à ce paradoxe que les aides sont fléchées sur ceux qui en auraient
le moins besoin. Davantage en raison de l’intérêt que présentent ces
« meilleurs » élèves à des enseignants (c’est toujours plus difficile
d’enseigner à des élèves qui présentent des difficultés) que de la
préoccupation éthique de répartition des ressources. Et on en arrive donc à
privilégier ceux qui ont plus. Sous de pseudo-arguments de générosité : il
serait dommageable de pénaliser les jeunes sourds (qui sont censés par principe
mettre plus de temps à comprendre) en ne les soutenant pas au-delà des heures
de cours dont bénéficient les autres élèves.
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