Sourd, implanté, et dysphasique ?
Marie est une enfant sourde de 10 ans. Ses parents ont fait
le choix d’une scolarisation auprès de leur domicile, dès la maternelle, puis à
l’école élémentaire. Tout au long de sa scolarité, elle a bénéficié d’un
accompagnement par un service spécialisé, qui a varié en nature et en quantité
au fil des années : séances d’orthophonie, soutien aux apprentissages
scolaires, langue française parlée codée sur certains temps de classe. Dès le
début de sa scolarisation également, ses parents choisissent de la faire
rencontrer d’autres jeunes enfants sourds ; elle y pratique un peu la
langue des signes. Au sein de la famille, la communication orale est largement
privilégiée, avec des résultats estimés satisfaisants, et les parents ne
s’interdisent pas l’utilisation de quelques signes issus de la langue des
signes.
Sa communication avec ses camarades entendants à l’école
apparait comme satisfaisante, bien qu’à certains moments de classe ou de vie
sociale elle soit un peu « hors-jeu ». Lors des ateliers avec des
jeunes sourds, Marie est une fille communiquant par le moyen de la langue
gestuelle et de la langue orale. Elle est « bilingue » certes, mais,
pour des raisons différentes, ne maîtrise pas à un haut degré les compétences
dans l’une et l’autre langue. Elle communique pourtant, oralement et en signes,
avec une certaine facilité.
Les difficultés commencent à se voir en début de cycle
3 : persistance de défauts d’expression orale, compréhension parfois non
fiable du discours, difficultés plus importantes en français écrit, fatigue et
tension nerveuse, attention plus labile… Les professionnels du service
spécialisé observent des similitudes de symptômes entre la situation de Marie
et la situation des enfants dysphasiques, et évoquent l’hypothèse d’une
dysphasie. Une consultation auprès d’un médecin phoniatre aboutit à un
diagnostic de dysphasie. Le diagnostic fait, et les difficultés s’expliquant
conséquemment par ce trouble, une orientation est proposée, vers une classe
spécialisée d’enfants dysphasiques.
On peut s’étonner de rencontrer un diagnostic de dysphasie
chez un enfant sourd. En effet il est généralement convenu que la dysphasie est
un diagnostic par exclusion, et que la déficience auditive ou la déficience
intellectuelle suffisent à exclure un tel diagnostic. Mais les similitudes de
symptômes conduisent ici à rechercher les mêmes causes et les mêmes explications.
S’il fallait chercher quelque chose de la dysphasie chez un enfant sourd, il
semblerait plus pertinent de la rechercher du côté de là où il n’y a pas
d’obstacle anatomique ou physiologique à la perception d’une langue,
c’est-à-dire du côté de la langue des signes, et d’examiner s’il y a bien un
trouble structurel à ce niveau. Il est étonnant qu’une « incapacité »
en lien avec l’obstacle acoustique puisse être diagnostiquée comme un trouble
faisant abstraction de cet obstacle, quelque réduit qu’il puisse être par
prothèse et rééducation.
Ce texte est tiré d'un article publié dans la Nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, n°64, janvier 2014 : L'horizon d'une école inclusive dans la scolarisation des jeunes sourds
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