Controverses sur les situations de handicap
L’expression « situation de handicap » s’est banalisée, et est désormais utilisée presque systématiquement pour désigner un signifié sur lequel il n’y pourtant pas toujours d’accord. Il ne s’agit pas d’un nouvel euphémisme pour évoquer de manière moins brutale les vécus des personnes qui ont des déficiences ou des incapacités ; elle nomme un changement de paradigme de pensée concernant les personnes concernées. Mais ce nouveau paradigme disparait le plus souvent derrière une utilisation pour le moins imprécise et tronquée de l’expression. L’expression désigne, dans les faits, la plupart du temps, ce que désignait auparavant l’expression « personne handicapée » ou le mot « handicapé ». L’utilisation généralisée de l’expression témoigne, me semble-t-il, d’une incompréhension radicale de ce qui constitue une situation de handicap.
Les évolutions conceptuelles et paradigmatiques attendues
avec l’évolution du vocabulaire ne se sont pas produites. La notion de
situation de handicap est pensée comme handicap d’une personne et non, comme
l’avancent les approches écosystémiques, comme le résultat d’une interaction
entre les caractéristiques d’une personne et les caractéristiques de
l’environnement. Une personne ayant une déficience et/ou des incapacités
motrices va se retrouver en situation de handicap devant un escalier, mais pas
en situation de handicap devant un plan incliné. La notion de situation
s’applique à l’activité déplacement, pas à la personne ni à l’environnement. En
nommant une « situation de handicap moteur », on oublie, on oblitère
et le facteur environnemental, et le facteur interaction entre la personne et
l’environnement, constitutive d’une situation de handicap, pour n’attribuer le
handicap (ici reformulé situation de handicap) à la personne et à ses
caractéristiques déficitaires.
Une grande fédération nationale décline ainsi son
acronyme : Fédération pour l’inclusion des personnes en situation de
handicap sensoriel et DYS en France. Manifestement, on peut s’en
étonner : une grande fédération, informée des évolutions conceptuelles
internationales et des politiques publiques, se satisfait d’une évolution
« sémantique », sans prendre en considération les changements de
paradigme, en témoigne le rajout du qualificatif sensoriel à
l’expression situation de handicap (le qualificatif étant au masculin,
on peut accorder qu’il qualifie le handicap). Mais c’est là quand même assigner
le « problème » au déficit sensoriel et à la personne concernée. Une
personne sourde, parce que sourde, n’est pas pour autant en tant que telle en « situation
de handicap sensoriel » : on ne peut pas la qualifier ainsi
lorsqu’elle reçoit à dîner des amis sourds signants par exemple, ou lorsqu’elle
bénéficie d’un interprète en LSF lors d’une réunion de travail. La
caractéristique sensorielle existe pourtant. La personne va se trouver dans des
situations de handicap en l’absence d’interprète, en l’absence de sous-titrage
d’un film, ou en l’absence d’indications écrites dans les transports en commun.
C’est-à-dire dans des situations de vie : travail, loisirs, déplacements,
etc. La situation de handicap qualifie dans cette configuration le rapport
entre une personne et un environnement, et pas seulement les caractéristiques sensorielles
(déficitaires) de la personne.
Le nouveau discours ne fait que, et sert à, masquer la
reproduction et la pérennisation d’lune conception en définitive
bio-neuro-psycho-médicale (et un peu sociale) des situations vécues par les personnes
en situation de handicap, en situant toujours l’origine, la cause et les attributs
des situations vécues dans les caractéristiques (déficitaires) des personnes,
l’environnement n’étant là au mieux que comme contexte faisant émerger les
difficultés des personnes. La formulation rabat vers les personnes concernées
la responsabilité des leurs difficultés ou impossibilités, et dispense
implicitement l’environnement et la société des changements (radicaux)
nécessaires à la considération d’une véritable place des personnes concernées
dans la société.
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