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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

lundi 19 juin 2023

les ambigüités d'une empathie égocentrée

Les ambigüités d'une "empathie égocentrée"

Les « formations au handicap », dans la perspective de l’inclusion, ont évolué. Lorsqu’il s’agissait de former des professionnels « non spécialisés » à l’accueil des personnes en situation de handicap (à l’école, au travail, dans l’espace public…), longtemps, les contenus de la formation consistaient à transmettre des informations et des connaissances sur les déficiences concernées et les incapacités conséquentes, selon un schéma quasi-immuable : causes de la déficience, nature et caractéristiques, incapacités et conséquences dans le développement et la vie sociale, prévention et traitements. De telles formations renforçaient en définitive le regard déficitaire (corporel et fonctionnel) et justifiaient en quelque sorte de « l’étrangeté » de l’individu concerné et son éloignement des normes. Contre-productives par conséquent par rapport à un objectif d’environnement inclusif.

Une alternative consiste, comme cela se fait fréquemment aujourd’hui, à « se mettre à la place de », et de se confronter aux situations vécues par les personnes : un bandeau noir sur les yeux, des bouchons dans les oreilles, un fauteuil pour se déplacer ou jouer au basket… Il est évident que cette manière de faire confronte les personnes formées à une réalité plus proche de ce que vivent les personnes concernées, c’est-à-dire en situation de handicap. On sort enfin des « cours de médecine » ou de psychologie, pour expliquer et tenter de comprendre ce que vivent et éprouvent des personnes en situation de handicap. Ce qui est peut-être davantage susceptible d’engager à des actions et des représentations qui leur soient plus favorables, et aussi à une certaine empathie.

Le philosophe Bertrand Quentin nous met en garde toutefois sur les ambiguïtés d’une telle empathie, qu’il nomme « empathie égocentrée » (B. Quentin, 2013, La philosophie face au handicap, érès). L’empathie consiste ici, comme dans les exemples ci-dessus, à se mettre à la place de la personne en situation de handicap, à vivre une de ses expériences, mais en conservant les réflexes d’une personne qui ne rencontre pas habituellement ces problèmes. La personne peut ainsi s’imaginer (dans) la vie d’une personne en butte à de nombreux obstacles, qu’elle ne parvient pas à surmonter : l’aveugle reste dans le noir, le sourd est muré dans le silence, la mobilité d’une autre est contrainte, etc. « C’est, dit B Quentin, le bien portant qui fait un effort pour s’imaginer mal portant ». Mais ce qu’il perçoit ainsi de la « vie handicapée » est une perception de ce qui manque, de ce qui ne fonctionne pas, de ce qui n’est pas adapté au monde. Autrement dit, une personne en situation de handicap est ou devient une personne considérée comme « incomplète » à l’issue d’une expérience de manque (le bandeau, les bouchons, le fauteuil, etc.) d’une personne dite valide, à qui il ne manque rien.

Si, à partir de cette expérience, des personnes formées vont devenir attentives aux facteurs environnementaux, d’autres au contraire vont voir se renforcer les valeurs qu’elles accordent à ce qu’elles possèdent (voir, entendre, marcher…) et que les personnes concernées n’ont pas. Et vont n’avoir de cesse de compléter ou remplir ces manques dont elles auront eu l’expérience « malheureuse » : rééducation des capacités visuelles, auditives, motrices, etc. On aidera moins la personne en fauteuil quand elle se lève un peu, pour que « quand même elle marche un peu »…, et « pour son bien ».

Une telle empathie ne peut à elle seule contribuer à changer de regards et de rapports sociaux entre les personnes dites valides et les personnes en situation de handicap. L’affirmation des droits, réels et effectifs, et leur mise en œuvre dans l’ensemble des situations de la vie courante, la reconnaissance de la valeur humaine pleine et entière de tout individu, quelles que soient ses caractéristiques (et non la représentation d’une personne handicapée comme un manque), sont la garantie de dépassement de cette « empathie égocentrée » qui ignore en quelque sorte les expériences vécues par les personnes concernées.

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