Les troubles sont de sortie
Pour qui regarde avec une certaine distance ce qui se passe autour de ce qui est caractérisé aujourd’hui, de manière générique, comme troubles, il apparait des phénomènes curieux. Tout d’abord cette caractérisation même de troubles affecte un nombre toujours plus grand d’enfants, là où auparavant il était admis que ceux-ci, en particulier à l’école, rencontrent des difficultés, vivent des échecs scolaires ou aient des comportements difficilement tolérés. Tous ces enfants ont aujourd’hui des troubles, manière d’objectiver médicalement et scientifiquement (avec toutefois quelques questionnements à ce sujet) des dysfonctionnements, de bénéficier d’une attention, d’aides et d’interventions plus pertinentes dans leur éducation, et de voir leurs difficultés reconnues. C’est ce qui explique en particulier la croissance exponentielle qu’on l’on a pu observer ces dernières années dans le nombre de reconnaissance de handicap, et dans le nombre identiquement exponentiel d’inclusions (en oubliant que ces enfants étaient déjà dans les écoles).
Ces troubles très divers sont regroupés aujourd’hui sur la
catégorie de troubles du neurodéveloppement (TND). On y trouve les troubles du
développement intellectuel (TDI), autrefois déficience intellectuelle ou
mentale, les troubles du langage (une grande part des dys), les troubles du
spectre de l’autisme (TSA), les troubles spécifiques des apprentissages, les
troubles du déficit de l’attention, avec ou sans hyperactivité (TDAH) et des
troubles moteurs. L’ancienne catégorie de psychopathologie se déploie ainsi, en
se spécifiant et se généralisant, en une pluralité de TND, en attendant
vraisemblablement de futures catégories de troubles. Ce qui est curieux dans ce
phénomène est le principe d’une généralisation étendue des troubles : nous
sommes certes tous un peu ceci, un peu cela ; mais à quel moment cela
devient-il un trouble, une pathologie ?
Autre curiosité : le diagnostic. Il se présente sous la
forme de l’objectivité et de la scientificité, labellisées sous critères
médicaux, à l’appui de batteries de tests psychologiques. Mais la plupart du
temps, le diagnostic se fait sans critères biologiques (sauf par exemple le
trouble en lien avec une trisomie 21, ou d’autres maladies rares). Il n’y a pas
non plus de critères neurophysiologiques (le scintillement d’une imagerie
cérébrale ne donnent pour l’instant pas (ou peu) d’indications). Et pourtant,
il y a diagnostic. Sur quoi se base-t-il donc ? Il se base en réalité sur
des données « sociales » qui ont trait à ce qui est supposé et
considéré comme une conséquence ou un effet du trouble. Ce sont les
conséquences sur le plan des aptitudes intellectuelles ou comportementales, ou
sur le plan des habiletés sociales qui déterminent le diagnostic. Autrement
dit, c’est le fonctionnement global, caractérisé relativement à des normes
« standard » de fonctionnement social, qui permet de poser un
diagnostic, en postulant que tel écart par rapport à ces normes détermine un
trouble.
Il y aurait quand même lieu de se méfier de tels
raisonnements. Lorsque des comportements, des manières d’être, des difficultés,
des dysfonctionnements (même développementaux) sont observés comme
« symptômes » selon le postulat de troubles posés et caractérisés à
partir de ces caractéristiques, il s’agit d’une pensée « circulaire »
dont les prémisses sont aussi la conclusion. Cette pensée ignore de fait
d’autres facteurs, et attribue le dysfonctionnement à l’enfant concerné, et
nullement à la manière dont l’enfant est ou a été en rapport avec son
environnement. Combien de « troubles de l’apprentissage scolaire »
ont pour causes le fonctionnement de l’école (pédagogie mal adaptée, exigences
inhabituelles, contexte familial, etc.) ? La manière dont se font les
interactions entre un enfant et ses environnements produit des
dysfonctionnements. Cela définit-il un trouble ?
Les difficultés de l’enfant sourd (intellectuel,
comportemental, affectif, langagier…) lui ont été attribuées et caractérisées
comme troubles. En ignorant l’absence de langue appropriée (langue des signes)
dans l’environnement. Cet exemple devrait nous inciter à être prudent dans la
caractérisation des troubles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire