L'autonomie dans la servitude ?
Une personne soumise (la servitude volontaire dirait E. de la Boétie) pourrait-elle penser et agir en faveur de la liberté (la sienne et celle des autres) ? Sauf mensonge ou hypocrisie, non ! De la même manière, une personne non autonome dans sa vie ou dans sa fonction professionnelle ne peut pas agir en faveur de l’autonomie (la sienne ou celle des autres). Une des conditions requises, en effet, de mise en œuvre de tels principes (liberté, autonomie, accès à des droits, empowerment, etc.) est bien une certaine conformité, une concordance, entre ce qui est visé, l’objectif professionnel programmé, et la manière d’être (le savoir-être, la posture, l’attitude, les conditions d’exercice) personnelle et professionnelle. On ne peut valoriser quelqu’un que si l’on est soi-même valorisé ; on ne peut aider à l’autonomie de quelqu’un que si l’on est soi-même autonome ; on ne peut ambitionner d’agir au développement du pouvoir d’agir de personnes ou de groupes que si l’on dispose ou développe pour soi-même son pouvoir d’agir et ses marges de manœuvre, et qu’on est en mesure de l’exercer. Ce sont là d’apparentes évidences.
Qu’on ne retrouve pour autant pas dans l’exercice des
situations professionnelles dans le secteur médico-social. En effet, le
fonctionnement et l’organisation des services, et donc des interventions des
professionnels, se font aujourd’hui selon des critères qui n’ont plus
grand-chose à voir avec ceux d’avant et du « cœur des métiers ». Ils
ont plutôt à voir avec des critères pilotés par des principes économiques,
inspirés du fonctionnement des entreprises privées, conçus comme seuls modèles
à suivre, et du « new management public », biberonné aux mêmes
sources. Les préoccupations de résultats, de productivité, d’efficience ou
d’efficacité, de rentabilité, de changement permanent pour favoriser la
flexibilité, les contraintes de réalisation (de tout acte) sous conditions, …, qui
ont conduit les organisations à la mise en place de procédures de contrôle
standardisées auxquelles les professionnels n’ont d’autres solutions que de se
soumettre. Le reporting, les codages d’activité, les nomenclatures, la
multiplication d’écrits…, sont censés attester du contrôle de l’effectuation de
l’activité professionnelle (toujours finalisé au « bien » de l’usager
et à l’amélioration de la situation), sans prendre en compte les à-côtés,
pourtant incontournables, de la relation d’accompagnement. L’objectif de l’organisation
avec de tels objectifs en sous-main ne laisse pas beaucoup ni d’autonomie, ni d’empowerment,
ni de créativité professionnelle. Les objectifs professionnels sont soumis aux
objectifs de l’organisation : une des conditions de perte de sens au
travail.
Non seulement les organisations font obstacle à l’initiative
et aux marges de manœuvre professionnelles, mais les professionnels sont en
outre dépossédés de leurs compétences professionnelles par des injonctions
(formulées sous forme de recommandations qui par le jeu organisationnel
deviennent des injonctions) de bonnes pratiques dans tous les domaines où ils
ont à intervenir. Il y a certes d’intéressant « conseils » dans la
littérature prolixe de ces recommandations. Mais elles se substituent
autoritairement aux savoirs initiaux et aux savoirs d’expérience des
professionnels, considérés dans ce cadre comme non pertinents (personne n’en
tient compte), sans valeur par rapport aux directions et administrations. Les
recommandations sont toutes focalisées sur l’autonomie et la prise en compte de
la personne (usager), en privant les professionnels accompagnants des mêmes qualités
et principes d’action , leur laissant la seule liberté et autonomie
d’appliquer simplement et « bêtement » les recommandations.
« Just do it », mais sans penser !
Il y a là, dans ces évolutions, un pilotage technocratique
où des experts (de l’économie, du management, des politiques publiques), du
haut de leur savoir, imposent des organisations et des pratiques
contradictoires avec les ambitions et objectifs affichés : ceux-ci ne sont
pas tenables avec des professionnels éloignés, quant à eux, de ce pour quoi ils
devraient agir.
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