Vivre son destin, vivre sa pensée
D'Anne-Lyse CHABERT (Albin Michel, 2021)
Réfléchir à des thèmes existentiels majeurs comme la liberté et la réclusion, l'autonomie et la dépendance, les différences et les normes, la mort, à partir d'une situation singulière donne à réfléchir sur la pertinence de ces questions pour tous. D'abord elle témoigne philosophiquement de sa propre expérience, elle en constitue un certain savoir elle communique sa perception de sa situation de vie, de la manière dont elle construit son rapport au monde dans des conditions si particulières, qu'une personne valide ne peut concevoir facilement. A ce titre, la lecture de l'ouvrage devrait être indiquée à tous les « sachant » professionnels et institutionnels, ceux qui prétendent savoir et juger du haut de leurs compétences professionnelles de ce qui est bien pour les personnes en situation de handicap, et de ce qui ne l'est pas. Le livre nous communique une expertise réfléchie sur ce dont il serait important de se préoccuper dès lors que l'on est en relation, sociale ou professionnelle, avec des personnes en situation de handicap. Ensuite de manière plus universelle elle fait œuvre de philosophe sur ces thèmes majeurs de la vie : son regard particulier interroge la question générale posée pour tous et sa réflexion apporte des réponses qui ouvrent le champ de la réflexion sur l'humain et son fonctionnement.
En termes philosophiques, ce que nous apporte cet ouvrage,
c’est une approche phénoménologique du handicap, par une personne experte de
ses capacités et de ses conditions de vie, ce que ne pourra jamais apporter
aucune approche scientifique, à prétention objective. Et cette parole, rarement
écoutée, mérite pourtant de l’être, en considération de la dignité intrinsèque
de toute personne, quelles que soient ses caractéristiques. Elle nous dit par
exemple des choses importantes sur les institutions : « Un des lieux modernes de nos réclusions
est constitué sans doute par l’institution « médico-sociale »,
institution qui n’émet qu’une seule norme de vie sans jamais se soucier de
l’expérience de l’individu qui la vit et ne conçoit qu’un seul format sur
lequel doit se policer de force ce qui aurait pu se déployer en des styles ou
des formes de vie différents, dans toute leur singularité. L’individu, dans de
tels lieux, doit se plier à des normes imposées de l’extérieur :
l’institution a « institué » une fois pour toutes ces critères et ses
conceptions, faisant fi de l’autonomie des sujets vulnérables auxquels elle
fait face. » (p.82) Et
dit-elle aussi : « Une chose est sûre : je n'ai jamais eu la sensation de carence, de
manque. Si mon handicap m'a toujours contrainte à adapter mon environnement aux
modifications de mes capacités sensorimotrices du moment, je n'ai jamais eu
l'impression que ma vie était ‘’déficiente’’ en regard de celle que j'avais
auparavant. Elle était sans doute plus difficile, plus contraignante, mais non
pas amoindrie pour autant. »
L’ouvrage apporte une réflexion sur la condition humaine,
condition humaine en général, et condition humaine imposée aux personnes en
situation de handicap .Le chapitre sur l'euthanasie (p.111-128) est bien sur ce
registre : l'auteur traite de cette question à partir de son expérience,
de sa réflexion sur ses conditions de vie. Mais bien au-delà de ce
questionnement singulier, c'est bien de la question de la vie et de la mort
dont il s'agit, et sur laquelle porte sa réflexion, valable pour tous. Lire un
tel ouvrage n’est pas seulement connaître l'expérience pratique et réflexive
d'une personne en situation de handicap, c'est se confronter à des questions
éthiques concernant sa propre vie, et concernant la nature et les modalités du
travail d'accompagnement que les professionnels peuvent effectuer auprès des
personnes handicapées. A ce titre, la lecture de l'ouvrage devrait être
conseillée pour alimenter la réflexion éthique des professionnels (Désolé :
ni dans les recommandations, ni dans l'analyse des besoins de SERAFIN-PH, ni
dans le reporting dans de complexes tableaux Excel, n'est prévu de temps pour lire le livre d’A-L
Chabert. L'éthique n'a plus guère de place dans le travail médico social, tout
au plus l’éthique fait-elle l'objet d'une conférence annuelle).
Laissons-lui le « mot de la fin », et une
perspective optimiste et valorisante quant à la manière de voir le
handicap : « Il s’agit toujours
d’expériences de vie qui se déclinent comme autant d’ajustements permanents
entre le terrain que fournit le milieu et ce que la personne handicapée est à
même d’y réaliser. Le handicap n’a dès lors plus aucune valeur négative ;
c’est au contraire sur son versant très positif de créativité que je mets
désormais l’accent, et qui est d’ailleurs source de richesses pour tout
l’environnement de l’individu. » (p.144)
Extrait de la présentation (par A. Comte-Sponville,
auteur de la préface)
« Ce que montre ce petit et grand livre, c'est que
le handicap se situe toujours à la croisée entre un organisme et une société,
entre une déficience, qu'elle soit innée ou acquise, et un environnement, sur
lequel on peut et doit agir. On ne vit pas tout seul, ni hors du monde ou de la
Cité. Ce livre de sagesse est aussi un livre de citoyenneté, qui donne à penser,
donc aussi à débattre autant qu'à admirer. Anne-Lyse Chabert, comme écrivain et
comme philosophe, se veut le porte-parole de tous ceux, parmi nous, qui sont
confrontés au handicap, et spécialement de « ceux qui ne peuvent souvent
pas dire, qui ne sont donc pas vraiment écoutés ». Ouvrage d'utilité
publique, qui s'adresse à tous, qui nous aide à comprendre, qui nous pousse à
réfléchir, à discuter, à agir peut être. »
Merci pour votre artcile
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