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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 31 mai 2023

Lecture : Vivre son destin, vivre sa pensée, d'A-L Chabert

Vivre son destin, vivre sa pensée

D'Anne-Lyse CHABERT (Albin Michel, 2021)

« Mon regard est donc celui de la personne dépendante, qui ne se déprend jamais de celui de la personne qui réfléchit. » (p.84). Loin d'une philosophie désincarnée qui joue avec des mots creux, Anne-Lyse Chabert propose ici une véritable philosophie de l'existence, une existence entravée pour ce qui la concerne par une maladie dégénérative, qui la contraint fortement aujourd'hui dans nombre de ses habitudes de vie. Mais philosophie universelle aussi tant les thèmes et les questions qu'elle aborde nous concernent tous, nous interrogent tous . Dans la préface, André Comte-Sponville présente ainsi l’auteure : « Marcher ? Il y a longtemps qu'elle ne peut plus, en tout cas sans aide. Ecrire, à la main ou sur un ordinateur ? C'est devenu impossible. Lire ? Cela devient difficile, voire impraticable, à cause de la perte progressive de son oculomotricité liée à sa maladie. Dicter à un tiers (son « auxiliaire dactylographe ») ? Cela même devient de plus en plus ardu tant ses difficultés d'élocution, résultant de ses troubles moteurs, rendent sa parole épuisante, pour elle, et passablement inintelligible pour une oreille non avertie ».

Réfléchir à des thèmes existentiels majeurs comme la liberté et la réclusion, l'autonomie et la dépendance, les différences et les normes, la mort, à partir d'une situation singulière donne à réfléchir sur la pertinence de ces questions pour tous. D'abord elle témoigne philosophiquement de sa propre expérience, elle en constitue un certain savoir elle communique sa perception de sa situation de vie, de la manière dont elle construit son rapport au monde dans des conditions si particulières, qu'une personne valide ne peut concevoir facilement. A ce titre, la lecture de l'ouvrage devrait être indiquée à tous les « sachant » professionnels et institutionnels, ceux qui prétendent savoir et juger du haut de leurs compétences professionnelles de ce qui est bien pour les personnes en situation de handicap, et de ce qui ne l'est pas. Le livre nous communique une expertise réfléchie sur ce dont il serait important de se préoccuper dès lors que l'on est en relation, sociale ou professionnelle, avec des personnes en situation de handicap. Ensuite de manière plus universelle elle fait œuvre de philosophe sur ces thèmes majeurs de la vie : son regard particulier interroge la question générale posée pour tous et sa réflexion apporte des réponses qui ouvrent le champ de la réflexion sur l'humain et son fonctionnement.

En termes philosophiques, ce que nous apporte cet ouvrage, c’est une approche phénoménologique du handicap, par une personne experte de ses capacités et de ses conditions de vie, ce que ne pourra jamais apporter aucune approche scientifique, à prétention objective. Et cette parole, rarement écoutée, mérite pourtant de l’être, en considération de la dignité intrinsèque de toute personne, quelles que soient ses caractéristiques. Elle nous dit par exemple des choses importantes sur les institutions : «  Un des lieux modernes de nos réclusions est constitué sans doute par l’institution « médico-sociale », institution qui n’émet qu’une seule norme de vie sans jamais se soucier de l’expérience de l’individu qui la vit et ne conçoit qu’un seul format sur lequel doit se policer de force ce qui aurait pu se déployer en des styles ou des formes de vie différents, dans toute leur singularité. L’individu, dans de tels lieux, doit se plier à des normes imposées de l’extérieur : l’institution a « institué » une fois pour toutes ces critères et ses conceptions, faisant fi de l’autonomie des sujets vulnérables auxquels elle fait face. » (p.82) Et dit-elle aussi : « Une chose est sûre :  je n'ai jamais eu la sensation de carence, de manque. Si mon handicap m'a toujours contrainte à adapter mon environnement aux modifications de mes capacités sensorimotrices du moment, je n'ai jamais eu l'impression que ma vie était ‘’déficiente’’ en regard de celle que j'avais auparavant. Elle était sans doute plus difficile, plus contraignante, mais non pas amoindrie pour autant. »

L’ouvrage apporte une réflexion sur la condition humaine, condition humaine en général, et condition humaine imposée aux personnes en situation de handicap .Le chapitre sur l'euthanasie (p.111-128) est bien sur ce registre : l'auteur traite de cette question à partir de son expérience, de sa réflexion sur ses conditions de vie. Mais bien au-delà de ce questionnement singulier, c'est bien de la question de la vie et de la mort dont il s'agit, et sur laquelle porte sa réflexion, valable pour tous. Lire un tel ouvrage n’est pas seulement connaître l'expérience pratique et réflexive d'une personne en situation de handicap, c'est se confronter à des questions éthiques concernant sa propre vie, et concernant la nature et les modalités du travail d'accompagnement que les professionnels peuvent effectuer auprès des personnes handicapées. A ce titre, la lecture de l'ouvrage devrait être conseillée pour alimenter la réflexion éthique des professionnels (Désolé : ni dans les recommandations, ni dans l'analyse des besoins de SERAFIN-PH, ni dans le reporting dans de complexes tableaux Excel,  n'est prévu de temps pour lire le livre d’A-L Chabert. L'éthique n'a plus guère de place dans le travail médico social, tout au plus l’éthique fait-elle l'objet d'une conférence annuelle).

Laissons-lui le « mot de la fin », et une perspective optimiste et valorisante quant à la manière de voir le handicap : « Il s’agit toujours d’expériences de vie qui se déclinent comme autant d’ajustements permanents entre le terrain que fournit le milieu et ce que la personne handicapée est à même d’y réaliser. Le handicap n’a dès lors plus aucune valeur négative ; c’est au contraire sur son versant très positif de créativité que je mets désormais l’accent, et qui est d’ailleurs source de richesses pour tout l’environnement de l’individu. » (p.144)

Extrait de la présentation (par A. Comte-Sponville, auteur de la préface)

« Ce que montre ce petit et grand livre, c'est que le handicap se situe toujours à la croisée entre un organisme et une société, entre une déficience, qu'elle soit innée ou acquise, et un environnement, sur lequel on peut et doit agir. On ne vit pas tout seul, ni hors du monde ou de la Cité. Ce livre de sagesse est aussi un livre de citoyenneté, qui donne à penser, donc aussi à débattre autant qu'à admirer. Anne-Lyse Chabert, comme écrivain et comme philosophe, se veut le porte-parole de tous ceux, parmi nous, qui sont confrontés au handicap, et spécialement de « ceux qui ne peuvent souvent pas dire, qui ne sont donc pas vraiment écoutés ». Ouvrage d'utilité publique, qui s'adresse à tous, qui nous aide à comprendre, qui nous pousse à réfléchir, à discuter, à agir peut être. »

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