Des troubles envahissants...
Les nouvelles dénominations et définitions de ce qui était auparavant nommé déficience intellectuelle ou mentale inscrivent désormais cette caractéristiques dans les troubles neurodéveloppementaux (TND), sous la rubrique : troubles du développement intellectuel (TDI). « Le trouble du développement intellectuel (TDI) est un trouble du neurodéveloppement (TND) apparaissant durant la petite enfance. Il est caractérisé par : une limitation des fonctions intellectuelles (raisonnement, résolution de problèmes, planification, abstraction, jugement, etc.) ; un déficit des comportements adaptatifs (déficit dans un ou plusieurs champs de la vie quotidienne comme la communication, la participation sociale, etc.). » (HAS, octobre 2022). On peut penser que le passage de la notion de déficience, restrictive dans son évaluation/diagnostic comme dans sa définition « organique » et fonctionnelle, à la notion de trouble, avec son évolutivité développementale et ses caractérisations plus globales, permettra une ouverture vers la prise en compte des multiples facteurs concourant aux troubles en question.
Toutefois, il apparait que la définition du trouble se
caractérise par une série de deux écarts (une limitation et un déficit) par
rapport à des normes établies pour la population du même âge. Les écarts en
question portent à la fois sur la réalisation d’aptitudes (les fonctions intellectuelles)
et sur la réalisation d’habiletés sociales (les comportements adaptatifs). Les
premières sont évaluées par un certain nombre de tests, que maitrisent les
psychologues. Pour les secondes, c’est beaucoup plus problématique.
Ce que d’aucuns appellent, d’une autre formulation, « compétences
socio-adaptatives » comporte des éléments ambigus, tels que la conformité
aux règlements, aux lois, ou plus généralement aux coutumes et aux habitudes de
vie. Cela signifie-t-il, dans une lecture littérale, que la non-conformité
serait de nature, ici dans le TDI, mais aussi dans d’autres troubles et
pourquoi pas de manière générale, à être caractéristique d’un trouble ? La
question n’est pas posée de manière innocente. En effet, la pathologisation de
certains comportements, et en particulier la compétence socio-adaptative, a
été, souvent dans l’histoire, une manière de neutraliser des populations. Sous
le régime soviétique, l’opposition politique a mené directement (quand ce
n’était pas à la mort) dans les asiles psychiatriques des militants dûment diagnostiqués
comme malades (fous). Les noirs américains en lutte contre le pouvoir raciste
dans les années 1960-1970 (les activistes des Black Panthers) étaient
considérés et diagnostiqués comme schizophrènes à l’observation de leurs
comportements (colère, sentiment d’injustice, poings brandis, discours haineux,
violence…).
Alors aujourd’hui, quelles pourraient être les
dysfonctionnements des compétences socio-adaptatives qui identifieraient un
trouble ? La colère contre l’injustice sociale, l’activisme contre
l’inaction climatique, la lutte anti-validiste, l’utilisation de la violence
pour défendre le droit de manifester ou de grève, la résistance aux forces
dominantes ou à l’idéologie politique hégémonique, le soutien aux migrants,
etc., sont-ils des troubles du neurodéveloppement ? Dans la mesure où ils
constituent des écarts avec les normes établies dominantes, sont-ils à
surveiller ? Certaines batteries de test investiguent même des domaines
comme le comportement professionnel : ne pas avoir de troubles
signifie-t-il se soumettre au règles managériales, ne pas être syndiqué, ne pas
critiquer le fonctionnement de l’entreprise, adhérer au projet et aux valeurs
de celles-ci, consentir à la souffrance au travail ?
Si ce questionnement semble excessif ici, il ne faut pas
oublier l’instrumentalisation des écarts (par diagnostic) pour stigmatiser des
personnes, individuellement ou collectivement, sous le prétexte de leur
éloignement des normes dominantes. L’extension et la généralisation de la
notion de trouble portent en leur sein des dangers pour la pleine et entière
reconnaissance de la diversité humaine, et pour la démocratie.
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