"Ne me parlez plus d'assistanat !"
« Assistanat » : voilà un mot qui est devenu tabou ! L’assistanat, c’est ce qui « coûte un pognon de dingue » dans le champ social, c’est ce qui fait obstacle à l’autonomie et aux droits des personnes en situation de handicap ou vulnérables. Désormais, il importe non d’assister les personnes concernées, mais de les accompagner, de les rendre responsables de leur vie, adaptées à leur environnement, quelle que soit d’ailleurs la nature (parfois néfaste) de celui-ci. Si un grand nombre d’attitudes, de comportements, de représentations, d’organisations, qu’on peut aujourd’hui qualifier comme relevant de l’assistanat, étaient effectivement peu respectueux des personnes en tant que personnes à part entière, on peut craindre que d’autres dispositions ne disparaissent dans le maelstrom du changement, que tout ne soit jeté avec l’eau du bain.
La posture d’assistanat, enracinée dans des philosophies de
charité et de bienfaisance, a placé effectivement les personnes en situation de
handicap dans une position et une place d’infériorité, d’incomplétude,
d’infantilisation, d’exclusion des droits et d’autonomie. Tout en assurant une
certaine protection qu’ils n’avaient pas dans la société dans laquelle ils
vivaient. Dans la reconnaissance progressive de l’égalité des droits et
d’existence des personnes concernées, la posture d’assistanat ne peut plus
convenir. La posture d’égalité (de chances, de droits, de place, d’existence…)
s’est inscrite à rebours de la posture d’assistanat. Mais elle s’est inscrite
socialement de manière implicite en postulant que les normes devaient être celles
des personnes non handicapées, non vulnérables, valides. Les personnes qui
relèvent, dans le champ social ou médico-social, de l’accompagnement, et non
plus de l’assistanat, se doivent par conséquent d’être dans l’obligation
d’avoir les aptitudes et les capacités (intellectuelles, langagières,
comportementales, perceptives, motrices…) des « normaux » : le
fonctionnement humain est rapporté à celui d’un « idéal-type », correspondant
à celui défini par les normes dominantes de la société considérée.
L’idéal-type (ayant des ressources, « inclus »,
adapté à la société, responsable, flexible, efficient…) n’est pas toujours et
ne reste pas toujours absolument « autonome ». L’idéal-type a parfois
besoin de protection, de compassion, de mise en retrait, d’un
« câlin », de ne plus être au front. D’être moins entrepreneur de sa
vie. D’être aidé et assisté en quelque sorte. On n’est pas toujours en mesure,
on n’a pas toujours envie de diriger sa vie sur le mode entrepreneurial :
je peux ne pas partager cette idéologie, je peux avoir un « coup de
mou », je peux avoir des impossibilités… Mais cette situation reste
entachée comme une marque de faiblesse par rapport à l’idéal-type (où il faut
être fort), et marquée d’un sceau éthique de « mal », le « bien »
étant l’idéal-type.
Le refus de l’assistanat, traduit par l’autonomie et
l’autodétermination, attributions ontologiques de l’idéal-type, devient une
injonction à être ou à devenir l’idéal-type : être responsable de sortir
de la pauvreté, de la rue, du chômage, de sa dépendance… Ceux qui demeurent
dans la rue, sans emploi, pauvres… sont ceux qui l’ont bien voulu : les
« fainéants », les assistés… C’est l’idéal-type qui est la norme,
conformément aux objectifs de « zéro défaut » ou « qualité
totale » qu’on trouve dans le champ économique. L’injonction faite à ceux
qui sont ou deviennent en situation de vulnérabilité, de fragilité, de
souffrance, de handicap, de domination, d’oppression, est une injonction dont
l’évidence n’est comprise que par ceux qui ne sont pas dans ces situations, du
haut de leur idéal-type.
Dans cette configuration de dénonciation de l’assistanat, peut-être
justifié sur certains aspects, le risque est bien présent que les plus
vulnérables, les plus éloignés de l’idéal-type, et parmi celles-ci les
personnes en situation de handicap, n’aient plus la légitimité d’être aidés (l’aide
pouvant être assimilée à de l’assistanat, d’autant qu’elle a un coût). Il
importerait de réfléchir à la place des personnes vulnérables dans notre
société : la protection ne doit pas être référée à un déni d’autonomie,
mais à des principes de justice, d’égalité et de démocratie.
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