Elèves ou handicapés ?
Quand on accueille à l’école des élèves « handicapés » dont le statut leur est conféré par une institution dédiée à une population instaurée comme catégorie populationnelle, on accueille avant tout ces enfants ou ces jeunes comme possédant une identité faite de caractéristiques physiques, mentales, psychiques ou sociales, diagnostiquées dans les catégories de déficiences, maladies ou troubles, avec les incapacités qui sont reliées à ces catégories. Ce ne sont pas des élèves, ce sont des élèves handicapés. Cependant, le handicap a socialement une image, une valeur et des caractéristiques, malgré certains changements contemporains, dont le propre est la stigmatisation, l’infériorisation et, plus rarement, une identité positive.
L’assignation identitaire stigmatisante
(« handicapé ») est ainsi institutionnalisée comme première. Ce n’est
pas une assignation d’exclusion en dehors du système (les institutions
spécialisées) mais une assignation de l’intérieur : il y a encore deux
catégories d’élèves à l’école, les « normaux » et les
« handicapés ». C’est un « handicapé » avant d’être un
élève, un collégien, un lycéen, un étudiant. C’est un « handicapé »
au regard de l’institution dans laquelle il entre (les autres élèves comme les
membres de la communauté éducative), mais aussi à son propre regard (la
catégorie l’institue). Faute d’avoir une identité positive – comme cela
peut-être le cas quand, dans un collège par exemple, un groupe significatif de
jeunes sourds signants fait groupe valorisé et auto-valorisé –, c’est
l’identité négative et stigmatisante qui vaut pour l’élève concerné, qu’il soit
dans un dispositif collectif ou non. Dans un contexte de valorisation, un jeune
sourd peut se sentir et se valoriser doublement, comme collégien et comme
sourd ; un autre élève aura davantage de difficultés à se valoriser comme
handicapé et collégien. Même s’il va s’efforcer de se conformer à la seconde
catégorie, la distanciation avec les caractéristiques négatives du handicap lui
sera plus difficile.
Il y a toutefois des circonstances où l’étiquetage
identitaire des personnes en situation de handicap prend une valeur positive,
et que les personnes en tirent bénéfice. On l’a vu avec le cas des Sourds, où
la revendication identitaire (une langue, une culture, un mode de rapport au
monde) valorise socialement les personnes qui s’en revendiquent. On l’observe
aussi dans l’engagement associatif ou politique de la défense des droits des
personnes en situation de handicap, où peuvent être valorisés les rôles sociaux
tenus par les personnes. On peut aussi gager que l’appropriation de
l’autodétermination et la valorisation de leurs rôles sociaux dans le courant
contemporain d’accès aux droits favoriseront une telle perspective.
Mais pour lors, c’est encore le stigmate (négatif) du
handicap qui pèse sur l’expérience scolaire des élèves en situation de
handicap. Et ce sont les caractéristiques de la stigmatisation handicapée qui
les définissent le plus souvent. Difficile par conséquent d’être (au regard des
autres et à son propre regard) d’abord un·e élève qui ne se distingue des
autres que par des caractéristiques vues comme ordinaires (garçon/fille, peau
noire/peau blanche, …) et individuelles malgré diverses appartenances. Que l’on
soit fille ou garçon, on est, à l’école, un·e élève. Lorsqu’on est handicapé,
l’on n’est le plus souvent élève que secondairement, on appartient d’abord à
une première catégorie : handicapé.
Se libérer de l’étiquetage ou de la catégorie « handicapé » est-il une solution ? C’est la situation actuelle des DYS, des élèves ayant des troubles des apprentissages. Ceux-ci sont bien passés par un diagnostic médical les qualifiant dans un domaine de déficience ou de troubles, avec les incapacités observées dans leurs aptitudes. Ils n’arrivent pas à l’école avec un statut de « handicapé », et ils ne sont soumis qu’a un plan allégé d’adaptation. Pour autant l’étiquette leur est souvent attribuée. Il n’y a donc pas que la catégorisation administrative qui assigne l’élève en situation de handicap dans l’identité handicapée. L’assignation existentielle est aussi attribuée par l’environnement scolaire qui continue à traiter ces élèves comme une population à part, indépendamment de son assignation administrative.
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