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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

jeudi 4 mars 2021

lecture : pourquoi la rentabilité économique...

Lecture : Pourquoi la rentabilité économique tue le travail

d'Olivier Cousin (Le bord de l'eau, 2018)

La pandémie a mis en évidence le grave problème de l’hôpital public dont les moyens se sont avérés insuffisants et le fonctionnement inadapté. C’est la conscience professionnelle (et plus) des soignants et autres personnels qui a permis à l’hôpital de ne pas sombrer quant à ses missions de soins. Mais ce n’est nullement la philosophie de fonctionnement et de gestion de l’hôpital, qui ont été questionnés, qui l’ont permis. Des rapports, des revendications, des luttes avaient depuis longtemps donné l’alerte et pointé un problème qui est devenu manifeste et visible de tous lors de la crise dite sanitaire. Sans d’ailleurs que les orientations de gestion de la santé et de l’hôpital aient le moins de monde été modifiées à partir de l’expérience de cette crise.

Le propos de l’ouvrage n’est pas le fonctionnement du système hospitalier, mais la manière dont l’économie et la gestion, mises en priorité dans le pilotage des fonctionnements, a des effets sur le travail des salariés. Le sociologue a étudié deux secteurs de travail, les bureaux d’ingénierie d’une grande entreprise automobile et l’hôpital public. Dans l’hôpital, la rationalité économique devient une composante de l’activité concrète des médecins (et des autres acteurs) avec la tarification à l’activité (T2A) et l’ensemble des outils permettant de la mettre en œuvre et de l’évaluer. « Dans le cadre de l’hôpital public [l’économie] prend la forme d’une incitation à la rentabilité afin de contribuer à accroitre les finances des structures. Si les médecins sont invités à faire des économies, il s’agit surtout de faire progresser les activités les plus rentables et d’en développer le volume. » (p.36). L’auteur analyse comment les professionnels incorporent cette exigence, sur un triple registre : comme entrave au travail, abimant l’activité, comme une composante à côté du métier et de leur savoir-faire, et aussi comme une dimension morale permettant « de ne pas faire n’importe quoi ».

Mais les descriptions permettent de voir clairement la trame de ce nouveau fonctionnement et en quoi il peut devenir (ou est devenu) un problème. La tarification à l’activité définit des dépenses (le coût de l’activité hospitalière représenté par les frais de personnel, le matériel et l’investissement) et les recettes de l’activité réalisée. « Le financement par l’activité, en introduisant la notion de recette, inverse le système de valeurs du monde hospitalier. La santé prise dans son ensemble coûte et nécessite la mise en œuvre de nombreux plans afin de réduire le niveau de dépense. Toutefois, la pratique de santé rapporte aux structures dans lesquelles elle se déploie, ce qui conduit à accroitre l’offre. « Le financement définit le projet médical » dit un témoin »). (p.77). L’hôpital devient ainsi une « machine à cash » lorsque les activités les plus rentables sont privilégiées (c’est encore plus vrai dans le secteur sanitaire privé lucratif !), les occupations de lits diminuées en durée car ne rapportant pas de recettes, et que par conséquent l’ambulatoire est préférable, non pour des raisons de soins mais de recettes (il y a même dorénavant des beds managers, gestionnaires de lits, pour cela) pendant que les activités les moins rentables sont supprimées, non pas en raison des besoins sanitaires, mais encore une fois pour une question de recettes.

La pression de l’administration pour la réalisation d’activités sur les professionnels est l’un des outils de cet équilibre budgétaire. « Ces sujets, lits bloqués ou pas assez occupés, patients trop lourds ou services insuffisamment attractifs, sont relayés à tous les échelons de l’hôpital donnant lieu à des classements internes plus ou moins explicites, sur la base de nouveaux critères de valorisation » (p.83). « Pour l’institution hospitalière, il est essentiel d’enrôler l’ensemble du personnel soignant autour des enjeux budgétaires. Pour ce faire, une batterie d’indicateurs sont régulièrement diffusés et soumis aux équipes. On parle de cible, d’objectifs, de taux d’occupation des lits, de durée moyenne de séjour, de service déficitaires ou rentables, d’adéquation des moyens au volume d’activité, de codage… » (p.140). Et autre outil, les coûts relatifs aux postes sont diminués afin de trouver l’équilibre. Avec la primauté de l’économie, on fait davantage (affublé de l’étiquette de « mieux ») avec moins (qualifié avec l’étiquette de rationalisation de l’organisation). L’augmentation de l’activité enrichit l’hôpital tandis que les postes et le matériel l’appauvrissent.

En dehors des effets identitaires (le métier de médecin n’est plus référé à la seule technicité soignante et clinique, mais désormais également au primat de l’économie et de la gestion), il y a des effets de structure dont on a trouvé l’illustration dans ce qui s’est passé au printemps 2020 lors de la pandémie de la COVID-19 : pénurie de matériel (gants, blouses, respirateurs), de lits d’hospitalisation et de réanimation (un lit vide ne rapportant pas en temps habituel, il est supprimé) et des professionnels plus qu’épuisés malgré leur volontarisme professionnel. Cet effet structure peut expliquer aussi que des activités hospitalières (consultations, hospitalisations, réanimations) aient été cotées COVID-19 dans une mesure plus importante que la réalité, dans la mesure où ces activités engrangeaient des recettes de 2 à 4 fois plus importantes que celles non cotées COVID-19. Et que les chiffres conséquents aient influencé des choix politiques des mesures prises (gestes barrières, confinements, couvre-feu).

A la lecture de cet ouvrage, on se demande bien comment un tel système peut continuer, sauf à faire de l’hôpital public une entreprise privée préoccupée non de santé, mais de soins générateurs de recettes/profits par la gestion de ses budgets. Dans cette évolution, la santé n’est plus un bien commun dont ont à se préoccuper la nation, l’Etat, mais un bien marchand qui admet de laisser les plus démunis à de moindres soins. Car on peut observer aussi que cette situation, analysée de longue date dans les effets pervers de la primauté de l’économie sur l’évolution des soins, l’organisation des territoires de santé et le travail des professionnels, bien documentée et connue, se pérennise et se trouve confirmée (voir les annonces de suppression de lits par des ARS en pleine pandémie). Les différents gouvernements qui se sont succédés depuis plusieurs décennies ont promu de telles orientations (au nom du nouveau management public, copié du privé) et ont en définitive contribué à la démolition de l’hôpital public sur la foi d’une unique et affirmée nécessaire(« there is no alternative ») vision de l’économie et de la gestion : « L’économie s’impose comme une force extérieure et comme une évidence, équivalente à une main invisible, réduisant l’ensemble du contenu de travail à une question de nécessité sur la base d’indicateurs de gestion. » (p.94).

Sur le fonctionnement hospitalier, cet ouvrage apporte un certain nombre d’éclaircissements. A ce titre, c’est un ouvrage d’actualité écrit avant la crise sanitaire, mais qui éclaire d’un jour cru en grande partie des fonctionnements qui ont pu être observés dans les services de santé, et la persistance et même le développement de ces fonctionnements qui ne pouvaient que conduire inexorablement à la situation actuelle.

Le propos de l’ouvrage n’est pas le fonctionnement du système hospitalier, mais la manière dont l’économie et la gestion, mises en priorité dans le pilotage des fonctionnements, a des effets sur le travail des salariés. Le sociologue a étudié deux secteurs de travail, les bureaux d’ingénierie d’une grande entreprise automobile et l’hôpital public. Dans l’hôpital, la rationalité économique devient une composante de l’activité concrète des médecins (et des autres acteurs) avec la tarification à l’activité (T2A) et l’ensemble des outils permettant de la mettre en œuvre et de l’évaluer. « Dans le cadre de l’hôpital public [l’économie] prend la forme d’une incitation à la rentabilité afin de contribuer à accroitre les finances des structures. Si les médecins sont invités à faire des économies, il s’agit surtout de faire progresser les activités les plus rentables et d’en développer le volume. » (p.36). L’auteur analyse comment les professionnels incorporent cette exigence, sur un triple registre : comme entrave au travail, abimant l’activité, comme une composante à côté du métier et de leur savoir-faire, et aussi comme une dimension morale permettant « de ne pas faire n’importe quoi ».

Mais les descriptions permettent de voir clairement la trame de ce nouveau fonctionnement et en quoi il peut devenir (ou est devenu) un problème. La tarification à l’activité définit des dépenses (le coût de l’activité hospitalière représenté par les frais de personnel, le matériel et l’investissement) et les recettes de l’activité réalisée. « Le financement par l’activité, en introduisant la notion de recette, inverse le système de valeurs du monde hospitalier. La santé prise dans son ensemble coûte et nécessite la mise en œuvre de nombreux plans afin de réduire le niveau de dépense. Toutefois, la pratique de santé rapporte aux structures dans lesquelles elle se déploie, ce qui conduit à accroitre l’offre. « Le financement définit le projet médical » dit un témoin »). (p.77). L’hôpital devient ainsi une « machine à cash » lorsque les activités les plus rentables sont privilégiées (c’est encore plus vrai dans le secteur sanitaire privé lucratif !), les occupations de lits diminuées en durée car ne rapportant pas de recettes, et que par conséquent l’ambulatoire est préférable, non pour des raisons de soins mais de recettes (il y a même dorénavant des beds managers, gestionnaires de lits, pour cela) pendant que les activités les moins rentables sont supprimées, non pas en raison des besoins sanitaires, mais encore une fois pour une question de recettes.

La pression de l’administration pour la réalisation d’activités sur les professionnels est l’un des outils de cet équilibre budgétaire. « Ces sujets, lits bloqués ou pas assez occupés, patients trop lourds ou services insuffisamment attractifs, sont relayés à tous les échelons de l’hôpital donnant lieu à des classements internes plus ou moins explicites, sur la base de nouveaux critères de valorisation » (p.83). « Pour l’institution hospitalière, il est essentiel d’enrôler l’ensemble du personnel soignant autour des enjeux budgétaires. Pour ce faire, une batterie d’indicateurs sont régulièrement diffusés et soumis aux équipes. On parle de cible, d’objectifs, de taux d’occupation des lits, de durée moyenne de séjour, de service déficitaires ou rentables, d’adéquation des moyens au volume d’activité, de codage… » (p.140). Et autre outil, les coûts relatifs aux postes sont diminués afin de trouver l’équilibre. Avec la primauté de l’économie, on fait davantage (affublé de l’étiquette de « mieux ») avec moins (qualifié avec l’étiquette de rationalisation de l’organisation). L’augmentation de l’activité enrichit l’hôpital tandis que les postes et le matériel l’appauvrissent.

En dehors des effets identitaires (le métier de médecin n’est plus référé à la seule technicité soignante et clinique, mais désormais également au primat de l’économie et de la gestion), il y a des effets de structure dont on a trouvé l’illustration dans ce qui s’est passé au printemps 2020 lors de la pandémie de la COVID-19 : pénurie de matériel (gants, blouses, respirateurs), de lits d’hospitalisation et de réanimation (un lit vide ne rapportant pas en temps habituel, il est supprimé) et des professionnels plus qu’épuisés malgré leur volontarisme professionnel. Cet effet structure peut expliquer aussi que des activités hospitalières (consultations, hospitalisations, réanimations) aient été cotées COVID-19 dans une mesure plus importante que la réalité, dans la mesure où ces activités engrangeaient des recettes de 2 à 4 fois plus importantes que celles non cotées COVID-19. Et que les chiffres conséquents aient influencé des choix politiques des mesures prises (gestes barrières, confinements, couvre-feu).

A la lecture de cet ouvrage, on se demande bien comment un tel système peut continuer, sauf à faire de l’hôpital public une entreprise privée préoccupée non de santé, mais de soins générateurs de recettes/profits par la gestion de ses budgets. Dans cette évolution, la santé n’est plus un bien commun dont ont à se préoccuper la nation, l’Etat, mais un bien marchand qui admet de laisser les plus démunis à de moindres soins. Car on peut observer aussi que cette situation, analysée de longue date dans les effets pervers de la primauté de l’économie sur l’évolution des soins, l’organisation des territoires de santé et le travail des professionnels, bien documentée et connue, se pérennise et se trouve confirmée (voir les annonces de suppression de lits par des ARS en pleine pandémie). Les différents gouvernements qui se sont succédés depuis plusieurs décennies ont promu de telles orientations (au nom du nouveau management public, copié du privé) et ont en définitive contribué à la démolition de l’hôpital public sur la foi d’une unique et affirmée nécessaire(« there is no alternative ») vision de l’économie et de la gestion : « L’économie s’impose comme une force extérieure et comme une évidence, équivalente à une main invisible, réduisant l’ensemble du contenu de travail à une question de nécessité sur la base d’indicateurs de gestion. » (p.94).

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