Inclusion et niveaux de changements
Pourquoi assiste-t-on à ce discours paradoxal qui présente
d’un côté des avancées indiscutables vers une société inclusive, quand ce ne
sont pas des affirmations selon lesquelles divers dispositifs ou mesures
témoignent d’une inclusion déjà réalisée, et de l’autre côté des
insatisfactions récurrentes et ne décroissant pas sur l’incomplétude des
mesures et sur des réalités d’exclusions plutôt que d’inclusion, qui
s’inscrivent dans des évolutions sociétales parfois à rebours de
l’inclusion ?
Le champ social (et médico-social) s’est construit dans une
certaine autonomie et dans une certaine distance par rapport au champ
économique et politique, sur lequel il ne prétendait pas intervenir. Le champ
économique pouvait imposer ses lois, le champ social s’inscrivait au mieux dans
la gestion de certains de ses effets (vulnérabilité, exclusion) mais nullement
dans la remise en cause des fonctionnements du champ économique.
Lorsqu’il s’agissait simplement de réadapter les personnes à
l’emploi, à la vie normale, à quelques fonctions dont la société pouvait tirer
bénéfice (lutter contre la mendicité, réinsérer en emploi, maintenir la
cohésion sociale), cette autonomie du champ social à destination des personnes
vulnérables et handicapées pouvait s’exercer sans trop de difficultés. Les lois
économiques étant ce qu’elles sont, le champ social ne pouvait qu’être un outil
permettant à des personnes de se conformer au mieux à ses normes, en
proscrivant toute intervention susceptible de faire évoluer le champ
économique.
Dès lors que le regard politique et sociétal a changé sur
les situations des personnes en situation de handicap, le rapport entre le
travail social (et médico-social) et la société (le politique, l’économique, le
social) est amené à évoluer également. La définition du travail social (Code de
l’Action Sociale et des Famille, D142-1) donne une perspective à ces
évolutions : le travail social « vise à permettre l’accès des
personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion
sociale et à exercer une pleine citoyenneté. Dans un but d’émancipation,
d’accès à l’autonomie, de protection et de participation des personnes, le
travail social contribue à promouvoir, par des approches individuelles et
collectives, le changement social, le développement social et la cohésion de la
société ».
La reconnaissance de la légitimité des aspirations des
personnes en situation de handicap, de leurs possibilités de choix, de l’accès
aux droits fondamentaux, de l’exercice de leurs rôles sociaux valorisés, de
leur pouvoir d’agir, de la citoyenneté et de la participation sociale pleines
et entières, ne peut se faire dans des ensembles sociaux qui ont une expérience
de fonctionnement qui ne fait pas référence à ces principes de reconnaissance.
Pour qu’il y soit fait référence, ces ensembles sociaux doivent par conséquent
radicalement se modifier : il a été assez dit que l’école par exemple doit
modifier ses pratiques pour devenir inclusive.
Mais cette situation est également vraie pour le champ
économique : les normes de rentabilité, d’efficacité, d’efficience, de
libre concurrence, d’extrême contrainte dans le travail, etc., sont en
contradiction avec une éthique qui affirme que toute personne en situation de
handicap a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale et
à la compensation des conséquences de son handicap. L’égal accès aux droits ne
peut se réaliser dans des ensembles inégalitaires : les normes dictées par
les lois économiques, aujourd’hui extrêmement inégalitaires, sont en contradiction
avec les intentions inclusives. Lorsque l’économie dicte sa loi, on le voit
dans nombre de dispositifs, les services aux usagers, les droits fondamentaux
(à la nourriture, à un logement, à un travail, à des ressources, etc.) se
dégradent, non seulement pour les personnes en situation de handicap, mais pour
tous. C’est donc bien sur l’environnement, y compris économique, qu’il faut
intervenir pour voir se développer une société inclusive.
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