Le handicap accroît-il les situations de handicap ?
Les personnes qui ont des déficiences, des troubles, des
maladies, des incapacités, sont des personnes qui rencontrent dans leur vie des
situations de handicap pour pouvoir réaliser de façon satisfaisante leurs
habitudes de vie. Elles sont qualifiées administrativement de personnes
handicapées. Elles relèvent politiquement d’un secteur appelé médico-social. Il
est à noter d’ailleurs qu’un tel secteur, constitué tel qu’il est, est
spécifique à la France. De ce fait, même si l’on assiste à quelques évolutions,
les personnes handicapées sont installées comme dans un système à part, qui est
coupé d’une certaine manière de ce qui fait le droit commun. Et ose penser
Pascal Jacob (Il n’y a pas de citoyens inutiles, p.248) : « Et
si nous faisions l’hypothèse que le secteur spécialisé constitue un frein, un
écran pour l’accès à la vie ordinaire ? »
Plusieurs éléments étayent cette hypothèse. Tout d’abord en
ce que de tels dispositifs, à tous les niveaux, de l’organisation ministérielle
à la plus petite initiative sur le terrain, l’existence de services dédiés,
spécifiques, fonctionnant de manière autonome et insulaire, dispense les
institutions et dispositifs de droit commun de devoir se préoccuper des
personnes concernées. Ils se préoccupent au mieux de leurs relations avec les
services spécialisés, s’empressant de confier à ceux-ci les missions qu’ils
remplissent auprès des non handicapés. Ce qui pourrait se résumer en une
formule que j’ai maintes fois entendue, plus ou moins euphémisée :
« Les personnes handicapées, ce n’est pas pour nous, il y a des services
spéciaux pour ça. »
Le secteur spécialisé forme aussi écran en mettant, souvent
sous prétexte de protection ou de besoins prédéterminés, des barrières entre le
monde ordinaire et les personnes handicapées. Combien de fois, sous prétexte de
représentations a priori de manque d’autonomie, d’incapacités supposées ou
réelles à faire ou à comprendre, de risques face à la cruauté du monde
(« ils vont souffrir »), de besoins affirmés de tutelle, etc.,
n’a-t-on pas empêché des personnes en situation de handicap d’« être dans
la vraie vie », de « faire comme tout le monde », d’avoir des
droits humains fondamentaux ? L’existence de ce secteur spécialisé est
propice à la résurgence de cette vieille idée de l’attribution d’une moindre
humanité aux personnes en situation de handicap.
Par ailleurs, pour faire partie du secteur spécialisé,
médico-social, il faut avoir un handicap, il faut être une « personne
handicapée ». Cela définit un statut, qui au-delà des aspects
administratifs, finit par définir la personne. Les catégorisations d’une partie
de la population, fût-ce à des fins politiques ou administratives nobles
(faciliter leur vie) ont toujours pour effet d’établir des frontières entre
ceux qui sont ainsi catégorisés et les autres. Les autres deviennent ainsi les
« normaux » et les catégorisés les « spéciaux ». On peut
faire ici l’hypothèse que la catégorie « handicap » ou
« personne handicapée » sépare les personnes concernées du lot commun
et de la société en les mettant dans un monde humain à part.
Et puis il y l’histoire du handicap et du secteur
médico-social, porteuse d’une approche bio-médicale qui a privilégié les
manques et les carences (déficience, incapacité…) à combler ou réparer. Cela
commence par la détermination du handicap au niveau des MDPH : si
celles-ci semblent se préoccuper des situations de handicap, c’est encore et
toujours cette approche défectologique qui a le dernier mot : le degré de
déficience reste le critère impératif à travers le guide barème d’invalidité,
et dans les pratiques, ce sont les médecins qui ont une voix prépondérante. Le
secteur lui-même est imprégné de cette idéologie mettant en avant la
compensation (prothétique, éducative ou rééducative), faisant des personnes
concernées des objets de soins, de rééducations, ou pour dire vite d’éducation
pour un retour dans la vie normale normée.
Tous ces éléments, articulés autour de la centralité de la
notion de handicap, avec ses catégorisations et ses dispositifs de réponse,
font qu’on peut faire l’hypothèse que cela a pour conséquence une aggravation
des situations de handicap.
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