"Le problème, c'est que je ne peux pas l'évaluer"
La qualification de handicap légitime parfois et en partie
l’exclusion de l’institution scolaire. Non plus directement depuis
« l’obligation » inclusive de la loi de 2013 sur la refondation de
l’école de la République, à la suite de la loi de 2005 sur l’égalité des droits
et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Mais indirectement, parce que l’ordre de l’institution scolaire est mis en
question, malmené, par des attitudes et des comportements de certains élèves,
ceux en particulier qui ont ou vont relever du statut d’élève handicapé. Un
élève qui ne parle pas, qui ne répond pas, qui ne peut pas être évalué met en
péril le rapport pédagogique, ce qui est censé être fait par les enseignants et
le système éducatif. Une partie de ces élèves, qui manifestent trop de
différences par rapport à l’ordre scolaire prescrit, va, de manière opportune,
pouvoir être enregistrée dans la catégorie « enfant handicapé », même
s’il n’y a pas de déficience avérée, ou si la déficience n’est définie que par
les incapacités de cet élève par rapport aux attentes de l’ordre scolaire.
L’un des arguments fréquemment entendus pour dire
l’impossibilité de faire et les limites atteintes par l’inclusion d’un élève
handicapé dans une classe est celui de l’évaluation : « Le problème,
c’est que je ne peux pas l’évaluer ». Il y a bien sûr des élèves en
situation de handicap qui ne rentrent pas dans cette catégorie des non
évaluables : les enfants qui ont une déficience motrice sont certes
handicapés, mais ils ne remettent pas en cause l’ordre scolaire : sous
réserves d’un certain nombre d’aménagements matériels (l’espace physique de la
classe par exemple) ou d’aides humaines pour un certain nombre de tâches,
l’enfant est bien élève, et peuveut être évalués les apprentissages qu’il fait
et les compétences qu’il acquiert. Finalement, il ne bouscule pas l’ordre
scolaire, il apparait moins « handicapé » par rapport à l’école et à
ce qu’elle institue, il sera mieux accepté. Il pourra être évalué, quitte à ces
modalités d’évaluation puissent être aménagées. Témoigne de cette particularité
le fait que l’accès à l’enseignement supérieur est plus accessible pour les
étudiants de cette catégorie, et que les premiers aménagements d’examens ont
concernés ceux-ci.
La difficulté ou l’impossibilité de l’évaluation devient
l’argument objectivé, dans une école et une société où l’évaluation devient
importante et permanente, de l’école au travail en passant par la vie
personnelle, de l’auto-évaluation aux likes des réseaux sociaux.
L’évaluation manifeste le symbole de l’ordre scolaire, et dès lors qu’elle est
compromise, c’est l’écart à la norme scolaire qui est invoqué pour définir
éventuellement un handicap, ou même une déficience. Un élève qui refuse
passivement ou résiste activement à cette règle d’or du fonctionnement
institutionnel scolaire est un élève qui remet en question l’école et ses
visées. Il n’y a plus sa place, et une qualification de handicap vient
opportunément apporter des solutions : mise en place de compensations
(aides humaines), attribution de la responsabilité de la situation d’écart à
l’enfant lui-même (son handicap), dédouanement de la responsabilité
institutionnelle (méthodes, fonction, organisation).
Peu importe que d’autres raisons moins
« objectives » que l’évaluation soient présentes dans la réticence à
accueillir des élèves en situation de handicap et à s’y adapter en modifiant un
certain nombre de pratiques : élève difficilement supportable par
l’enseignant, comportement déstabilisant, en écart quant à son niveau scolaire,
qui sollicite trop par rapport aux autres, etc. La raison objectivée reste
celle de l’évaluation, à laquelle personne ne peut répondre, tant celle-ci est
centrale dans le système, et que sa remise en cause remet en cause le système.
Dès lors il est fait appel à une externalisation des réponses. Soit en confiant
une partie de la tâche d’enseignement/apprentissage à des spécialistes et des
experts, en dehors de l’école (des médecins ou des orthophonistes par exemple)
qui paradoxalement vont proposer des conseils « pédagogiques ». Soit
en les « excluant » dans des dispositifs spécialisés, internes à
l’éducation nationale ou dans le secteur médico-social.
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