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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 24 juin 2020

lecture : l'institution du handicap

L'institution du handicap
de Romuald BODIN (La dispute, 2008)

C’est ici un ouvrage, dense, parfois difficile à lire, mais qui pose des questions fondamentales sur nos approches de la déficience, du handicap et des situations de handicaps. La déficience a été à l’origine définie, déterminée et qualifiée d’un point de vue médical. Le handicap est venu modifier et enrichir l’approche en le définissant également dans les conséquences de la déficience en termes d’incapacités et de désavantages sociaux, mais en gardant la déficience au centre des problématiques. Enfin, l’approche sociale-environnementale, que l’on trouve dans les modèles de l’OMS (la classification internationale des fonctionnements, du handicap et de la santé) ou le modèle québécois (classification internationale du modèle de développement humain – processus de production du handicap) est venu parachever l’approche en posant les situations de handicap comme étant dues à l’interaction entre des facteurs personnels (parmi lesquels la déficience) et des facteurs environnementaux.


Or, avance l’auteur, toutes ces approches ne se sont pas abstraites de la notion médicale de déficience, alors qu’en général on estime que les dernières approches, celles des situations de handicap, font rupture avec la détermination déficitaire. Elles n’ont fait, selon l’auteur, que rajouter des facteurs à ce qui reste un point d’ancrage de la détermination du handicap, à savoir la déficience sous le sceau médical. « Lorsque, pour lutter contre une approche biomédicale qui, en réduisant le handicap à la seule déficience, apparait trop réductrice et essentialisante, on veut distinguer déficience et handicap en précisant que seules certaines conditions environnementales, voire une forme d’oppression collective, expliquent le passage de la première (la déficience) au second (le handicap), ne se contente-t-on pas d’ajouter une simple couche de social à un problème qui reste de fait considéré comme d’abord médical ? » (p.21). Ainsi, dans la détermination du statut de personne handicapée auprès de la MDPH, c’est encore le dossier médical qui est déterminant.

L’auteur remet en questionnement ce présupposé de la référence médicale de la déficience d’un point de vue de sociologue, et par conséquent sa légitimité et sa légitimation médicale. Il avance, à rebours, le caractère social de la déficience, celle-ci étant considérée comme le produit du fonctionnement d’une institution (la famille, l’école, le travail, l’espace public). « Le handicap est moins un problème médical, une déficience, sous contraintes ou conditions sociales, qu’un phénomène proprement social qui peut, comme par surcroit, impliquer des questions médicales, mais qui peut aussi n’en impliquer aucune. » (p.22). Le phénomène de la déficience mentale qu’il analyse par exemple (p.56-58) met bien en évidence que, en dehors de quelques cas déterminés comme la trisomie 21, la déficience mentale est une construction sociale correspondant à l’écart par rapport aux attentes de l’institution, l’école, et qu’elle est définie a posteriori à partir des capacités non réalisées dans le cadre des normes de l’institution et du fait que cet écart remet en cause l’ordre même de l’institution. « Ainsi, c’est moins l’enfance – au sens de période biologique – qui est liée à l’ensemble des handicaps mentaux et à leur reconnaissance sociale que l’expérience de l’institution scolaire. » (p.56). Ce sont bien ces institutions qui en fonction de leurs caractéristiques, définies à un moment donné, déterminent ce qui fait handicap, et vont faire en sorte d’identifier des caractéristiques médicales ou médico-psychologiques qui vont valoir déficience. Les différences significatives qui vont émerger dans l’une ou l’autre de ces institutions et qui vont entrer en conflit avec leurs normes et leurs attentes, vont ainsi être appréhendées comme handicap et/ou déficience, alors qu’il s’agit pour l’auteur d’« anormalités d’institutions ». Et d’ailleurs, observe-t-il, « dès lors que les institutions se modifient se modifie aussi ce que l’on nomme handicap. » (p.90).

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, R. Bodin expose comment cette anormalité d’institution s’organise pour qualifier les personnes handicapées et baliser les parcours à travers la demande de reconnaissance de handicap, l’entrée dans une nouvelle catégorie sociale, mais aussi l’apprentissage de leur infériorité et de leur impuissance par les personnes handicapées. Car la reconnaissance du handicap n’est pas anodine, et elle a des effets non seulement sur les personnes concernées, mais sur les institutions dans lesquelles elle émerge : « Obtenir une reconnaissance de handicap pour son enfant ou un élève, c’est tout à la fois déculpabiliser les parents, qui ne sont plus coupables de l’échec de leur enfant, déresponsabiliser le ou les enseignants et, le cas échéant, obtenir diverses compensations et avantages pour l’élève. » (p.155)

L’immense intérêt d’une telle approche est de voir autrement et positivement les personnes en situation de handicap : « Rompre avec les modèles théoriques qui conduisent à lier irrémédiablement handicap et déficience, c’est aussi rompre avec l’image de la personne handicapée « altérée », « incapable », « réduite », c’est-à-dire au final « inférieure » et « dépendante ». (p.91). Il est aussi de cibler autrement l’action en connaissance de réalités masquées par ces modèles théoriques : « L’administration des anormalités d’institution et leur transmutation en « handicap » consistent en un travail symbolique d’officialisation, de décontextualisation et d’universalisation d’une différence qui n’est en réalité, le plus souvent, visible et problématique que dans certains contextes institutionnels bien délimités seulement. En les coupant de leur contexte d’émergence institutionnel, il conduit à étendre des problématiques localisées et leur stigmatisation à l’ensemble des sphères de la vie sociale. Elle transforme une tension institutionnellement circonscrite en disqualification publique. » (p.146)

Extraits de la présentation de l’ouvrage : « Qu'est-ce que le handicap ? Ce livre montre qu'il ne s'agit pas d'une réalité médicale, mais d'un phénomène social, qui peut faire référence à des singularités biologiques, mais dépend avant tout de la logique sociale de nos institutions. A partir de l'analyse de statistiques concernant la santé et le handicap, ainsi que de nombreux entretiens biographiques, l'auteur met en évidence que ce qui fait qu'une personne est considérée ou non comme handicapée renvoie au fonctionnement des grandes institutions sociales - famille, école, travail, espace public... Il explique aussi comment le statut administratif de personne handicapée tend à imposer une modification des parcours, des comportements et des identités. Cette nouvelle conception du handicap, qui met en relief sa construction étatique et législative, permet d'aborder différemment aussi bien l'expérience des personnes dites handicapées que les politiques de santé publique et d'action sociale. »

Voir aussi une excellente présentation de l’ouvrage par Antoine Girard, sur LinkedIn le 31 mai 2019.

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