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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

lundi 15 juin 2020

Noémie, ou le maintien d'une compensation inutile

Noémie, ou le maintien d'une compensation inutile


Noémie est une jeune fille sourde de 13 ans ; elle vient de rentrer en classe de 4ième, elle a donc l’âge considéré comme normal pour ce niveau scolaire. Ses parents, entendants, son frère et sa sœur communiquent avec elle par la langue des signes, plus ou moins maitrisée par les uns ou par les autres. Son niveau scolaire est considéré comme bon par les enseignants du collège, sa compréhension en lecture est tout à fait satisfaisante, sa production écrite est un peu en deçà de la maîtrise attendue, et elle a une très bonne réussite en mathématiques (dans les meilleurs résultats de sa classe). Elle dispose d’un accompagnement dense dans sa scolarisation de la part d’un service spécialisé : avec trois autres élèves sourds dans la même classe, elle est accompagnée sur pratiquement tous les cours essentiellement par des enseignants spécialisés en co-enseignement (ces enseignants spécialisés ne sont pas de l’éducation nationale mais du médico-social et titulaires du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignements aux jeunes sourds, le CAPEJS), ou par des interfaces en langue des signes française. Elle bénéficie en outre, comme ses trois camarades, de deux heures de soutien hebdomadaires, en français et en mathématiques.

Au bout de quelques mois de la 4ième, Noémie, forte de ses bons résultats en mathématiques, fait part de son souhait de ne plus avoir de soutien dans cette discipline, et de pouvoir comme les autres élèves, aller en permanence (cela lui permettrait, dit-elle, d’avancer son travail et d’être plus libre à la maison). A la lecture de la situation de cette jeune fille, il peut sembler logique d’accéder à sa demande. Mais, pourrait-on objecter, peut-être est-ce le soutien spécialisé dispensé qui lui permet d’avoir de tels bons résultats ? Rien n’est moins sûr. D’autant que l’objet de ce soutien est soit de redonner des explications de ce qui n’a pas été compris dans le cours (ce qui n’est pas le cas puisque Noémie comprend bien les notions de cours), soit d’anticiper les explications de notions qui peuvent paraitre difficiles (ce qui la dispenserait d’une tâche cognitive qu’elle sait effectuer pendant les cours), soit de renforcer des applications par des exercices (ce dont elle n’a pas manifestement besoin non plus).

Alors, pourquoi l’équipe pédagogique spécialisée a-t-elle refusé catégoriquement d’accéder à la demande de Noémie ? Visiblement, la « rationalité » de l’explication qui précède n’était pas la « rationalité » de l’équipe. Et s’il y avait une autre rationalité ?

Cette autre rationalité est peut-être à chercher du côté des représentations de la surdité/handicap et dans les mentalités de la pédagogie spécialisée destinée aux jeunes sourds. Les sourds, comme d’autres populations qui avaient des différences, des anomalies, des déficiences, ont toujours été considérées dans l’histoire de leur éducation comme des personnes à qui il manquait quelque chose, un sens ou le langage. Même l’Abbé de l’Epée, initiateur de l’éducation collective des sourds avec le langage gestuel avait cette posture. L’éducation consistait donc à compenser et combler ce manque, et son paroxysme fut atteint dans la période où l’éducation à la langue orale (l’oralisme) fut privilégiée, voire unique, et où fut interdite la langue des signes.

Aujourd’hui, même si les conditions ont changé, on trouve sans doute une rationalité inconsciente dans l’héritage de la pédagogie spécialisée auprès des jeunes sourds. Cette mentalité consisterait à postuler qu’une personne sourde n’est pas en mesure, n’est pas capable de faire autant que les autres, même lorsque les conditions d’accessibilité (la langue des signes) lui sont fournies. Il y aurait comme un a priori que Noémie, parce qu’elle est sourde/handicapée ne peut comprendre les notions et les démarches mathématiques au même titre que les autres élèves, alors même que la langue des signes lui permet d’accéder aux cours, qu’il faut lui fournir quelque chose de plus (ici du soutien, là de travailler plus, ou encore plus de temps) pour qu’elle puisse faire comme les autres.

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