Intégration et inclusion (encore)
Il semble aller de soi aujourd’hui que les deux notions
d’intégration et d’inclusion ne renvoient ni au même paradigme, ni à la même
réalité. En ce qui concerne le niveau du paradigme, depuis quelques années, les
définitions se sont effectivement affinées et précisées : non il ne s’agit
pas du même modèle. L’intégration est l’ancien paradigme selon lequel une
personne devait ressembler à la majorité pour accéder aux « biens
communs », les autres étant laissés dans des dispositifs particuliers en
dehors du système destiné à tous. L’inclusion est le nouveau paradigme selon
lequel c’est au système des « biens communs » de mettre en place les
conditions de son accessibilité, de se rendre accessible à tous, en tenant
compte de la diversité et des différences.
Présentés ainsi, les modèles semblent simples à distinguer.
Pourtant, lorsqu’il m’arrive d’intervenir sur ces modèles auprès de
professionnels, j’ai régulièrement été interrogé sur la différence entre les
modèles : certains persistent à ne voir dans ces changement qu’un
changement de nom, sans changement de pratiques, sans changement de valeurs, de
philosophie d’action. D’autres y voient aussi malheureusement un leurre
permettant à bon compte de faire des économies, ou encore le dernier avatar de
la tentation de libéralisation et de rationalisation de l’action sociale et
médico-sociale.
Ces « résistances » témoignent en définitive que
le modèle de l’inclusion n’est pas encore assimilé, qu’il ne constitue pas
encore pour de nombreux professionnels un paradigme de pensée et d’action.
Elles témoignent aussi que, dans le rapport aux personnes en situation de
handicap, c’est encore trop souvent la norme qui prévaut pour attribuer le
handicap à la personne qui manifeste une différence, et qui par conséquent
conduit à valoriser le paradigme de l’intégration.
Même en présence d’un discours apparemment inclusif, c’est
parfois l’intégration à la norme qui est sous-entendue et privilégiée. Dans le
modèle inclusif, la pensée consiste en une approche écosystémique définissant
la situation de handicap dans la vie sociale comme le résultat d’une
interaction entre des facteurs personnels et des facteurs environnementaux, sur
lesquels il y a lieu d’intervenir pour diminuer la situation de handicap et
augmenter les situations de participation sociale dans les habitudes de vie.
Mais bien souvent, le modèle défectologique (le handicap est dû à la déficience
de la personne) surgit, et définit les interventions, en priorité, voire en
exclusivité auprès de la personne.
La situation d’un jeune enfant sourd est exemplaire de cette
alternative d’approche. Un petit enfant sourd ayant des parents sourds n’est
pas en situation de handicap lorsqu’il est à la maison : les relations avec
ses parents sont normales (en langue des signes), et son développement global
est tout à fait analogue à celui d’autres enfants qui entendent. Il n’est en
situation de handicap que dès lors qu’il sort de chez lui pour aller à la
crèche, à l’école, etc. : là l’environnement met des obstacles à sa vie
sociale en n’utilisant pas la langue (des signes) qui lui convient et lui est
nécessaire. Une posture inclusive serait de tenir compte de cette différence
pour mettre à sa disposition les outils nécessaires.
Mais, la plupart du temps, il est considéré que la surdité
est une déficience, quasiment une maladie, qu’il faut soigner, et qu’elle a
pour conséquence des incapacités (en particulier de langue orale qu’il faut
tenter de réduire par des interventions spécialisées et rééducatives). Si l’on
y parvient, on pourra avoir un projet d’intégration. On voit bien ici que le
paradigme inclusif est bien éloigné des représentations et des interventions
rééducatives et intégratives, directement inspirées du modèle intégratif.
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