La prédiction d'incapacité
Il était une fois cinq élèves sourds en classe de 3ième
collège. Certains d’entre eux étaient de bons élèves, d’autres, moins bons,
avaient quelques difficultés, mais dans les normes d’une classe de 3ième.
Tous avaient quand même des difficultés plus ou moins importantes (plutôt plus
importantes) en français : compréhension et production écrite. Mais le
collège (conseils de classe, livrets d’évaluation) avait évalué qu’ils avaient
leur place dans cette classe de 3ième. Ils étaient accompagnés sur
l’ensemble des cours majoritairement par des enseignants spécialisés maîtrisant
la langue des signes, et pour quelques cours par des interfaces ou des
interprètes en langue des signes.
Arrivent les résultats : réussite pour tous, avec
mention bien ou assez bien pour tous et en particulier aussi pour les trois
élèves qui avaient présenté le DNB professionnel. Tout semble donc bien dans le
meilleur des mondes, et la valeur des enseignants en fut confirmée. Mais les
élèves ne furent pas dupes, ils connaissaient tous la hiérarchie des diplômes.
Et on peut se poser la question : si ces jeunes s’étaient présentés au DNB
général, ne l’auraient-ils pas obtenu quand même, fut-ce sans mention, sachant
qu’ils avaient des mentions au DNB professionnel ? L’essentiel dira-t-on
est qu’ils aient obtenu leur DNB. Mais socialement (c’est ainsi, même si on
peut le déplorer), l’un a plus de valeur que l’autre.
Ce que ces choix « spécialisés » dénotent, ce dont
cela est le symptôme, c’est le déni de compétence, le déni des capacités et des
compétences que l’on attribue aux jeunes sourds (un jeune collégien passe
normalement le DNB général, même si ses compétences sont relativement
« faibles »), relayé par les réponses d’assistanat qu’on leur propose
en les référant à des niveaux moins élevés, qu’ils sont garantis de réussir. On
fait ainsi des prédictions d’incapacité. On peut penser que dans le même
registre, ces mêmes professionnels mettent des limitations aux apprentissages
qu’ils leur proposent.
Ce « pari d’incapacité » (contraire au pari
éducatif qui devrait être la règle de celui qui prétend éduquer) est une
attitude récurrente, dont on peut voir le fil à travers toute l’histoire de
l’éducation des jeunes sourds. On a ainsi pu entendre qu’ils ne pourraient pas
faire d’études secondaires ; qu’ils ne pourraient pas accéder à
l’abstraction, qu’ils avaient besoin de manipuler plus que les autres ;
qu’ils ne pouvaient pas être autonomes pour prendre un bus à douze ans ;
qu’ils ne pourraient jamais accéder à l’enseignement supérieur ; qu’ils ne
pourraient jamais accéder à la société ordinaire s’ils ne parvenaient pas à
parler oralement ; qu’ils ne pouvaient faire des apprentissages qu’avec
des enseignants spécialisés. Si ces « paris d’incapacité » ont été en
grande partie perdus, ils se logent toujours dans des choix éducatifs comme
celui du choix de la série du DNB.
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