L'ONU sur les droits des personnes handicapées en France
La Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les droits des personnes
handicapées fait ses observations préliminaires et engage la France à revoir et
approfondir sa politique sur les droits des personnes handicapées.
Dans une conférence de
presse le 13 octobre 2017, Madame Catalina Devandas-Aguilar, Rapporteuse
Spéciale des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées, a fait
part de ses observations préliminaires sur la situation française, au cours de
sa visite en France du 3 au 13 octobre. Le rapport final est prévu pour mars
2019. La rapporteuse engage clairement la France à revoir et approfondir sa
politique nationale sur les droits des personnes handicapées.
La rapporteuse poursuit
d’ailleurs, et elle en fait même la colonne vertébrale de ses observations, sur
la nécessité de changer de paradigme, de passer de la référence à la déficience
à la référence aux droits. A cet égard, elle observe que les principaux acteurs
ne sont pas informés des dispositions novatrices de la CDPH. La France
dit-elle, doit « s’assurer que toute
politique publique, notamment en matière de handicap, adopte une approche
fondée sur les droits de l’homme ». A cet égard, la loi du 11 février
2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées, qui est antérieure à la Convention
relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) ratifiée par la France en
2010, « n’est pas pleinement
conforme à la CDPH. A titre d’exemple, la définition du handicap au titre de la
loi de 2005 ne correspond pas à la Convention et nécessiterait d’être révisée ».
Depuis la loi de 2005, l’état d’esprit et les dispositions internationaux ont
évolué, alors que les acteurs des politiques françaises font encore uniquement
référence à la loi de 2005.
De ce point de vue elle
critique vivement les politiques françaises « spécialisées, isolées et cloisonnées ». « L’accent, observe-t-elle, est mis sur la déficience de l’individu et
non pas sur la transformation de la société et de l’environnement pour assurer
des services accessibles et inclusifs, ainsi qu’un accompagnement de proximité. »
Ce choix, politiquement conscient ou non, a des conséquences sur la vie des
personnes. « Non seulement ce type
de réponses isolées perpétue la méprise selon laquelle les personnes
handicapées seraient ‘’objets de soins’’ et non pas ‘’sujets de droits’’, mais
il accentue leur isolement face à la société et entrave et/ou retarde les
politiques publiques visant à modifier l’environnement de façon radicale et
systématique pour éliminer les obstacles, qu’ils soient physiques, comportementaux
ou liés à la communication. »
Si dans ses observations
préliminaires, la Rapporteuse ne mentionne pas beaucoup d’exemples, les
professionnels de terrain les connaissent. Dans l’école par exemple, il y
aurait lieu de changer bien des choses (pas seulement l’accessibilité physique) :
la manière de considérer les personnes handicapées et le regard porté sur eux,
la qualité de l’accueil dans l’établissement scolaire et dans la classe, les
approches pédagogiques de traitement de la diversité des profils d’élèves et de
leurs capacités ou difficultés ; etc. A ce niveau, elle encourage le
Gouvernement à changer de politique : « au lieu de cibler l’individu en forçant les enfants handicapés à
s’adapter au milieu scolaire, je recommande une politique globale de
transformation du système éducatif pour assurer un accueil inclusif des enfants
handicapés ». A ce sujet, elle estime que la scolarisation en
établissement spécialisé n’est pas pertinente, et qu’il « serait important que l’ensemble des moyens
humains et financiers actuels soient placés sous la responsabilité du Ministère
de l’Education nationale ». Cela peut concerner en particulier cette
anomalie française qu’est la responsabilité de la scolarité (enseignant
spécialisés et inspection technique et pédagogique) des enfants sourds et
aveugles par le Ministère de la Santé, des Affaires sociales ou de la
Solidarité.
En termes
d’accessibilité, parmi de nombreux exemples de réalisation insuffisante, elle
se dit préoccupée de « constater un
usage très limité de la LSF sur le terrain ».
Et pourtant, la France
continue, de son point de vue, de « privilégier
globalement les solutions de placement en institution plutôt que l’inclusion de
la vie en société ». Sur cette question, elle note les demandes
récurrentes de création de places en établissement, justifiées par des listes
d’attente parfois importantes (l’exemple des « placements » en
Belgique est à cet égard exemplaire). A cette question, la Rapporteuse apporte
une réponse quelque peu inhabituelle dans la réflexion politique française :
« La demande toujours croissante de
places en établissement spécialisé traduit une carence quantitative et
qualitative en France en matière d’accompagnement de proximité. De même, la
société française est peu sensibilisée au droit des personnes handicapées à
vivre en son sein en toute autonomie ».
Car, explique-t-elle, les
établissements spécialisés « ont en
commun le fait de séparer et d’isoler les personnes de la communauté, violant
leur droit de choisir et maitriser leur mode de vie et d’accompagnement, tout
en limitant leur décision au quotidien ». D’où ce qu’elle a pu
observer lors de ses visites : la non reconnaissance de la pleine capacité
juridique, l’absence de la notion d’aménagement raisonnable, le report de la
mise en accessibilité, la responsabilité de l’éducation en dehors de
l’Education nationale, l’absence de droit de vote de certaines personnes
handicapées sous tutelle, les privations de liberté et les traitements sans
consentement de personnes avec handicap psychosocial ou dans le cadre de soins
psychiatriques…
Pour ces raisons, la
Rapporteuse exhorte le Gouvernement « à
adopter un plan d’action pour assurer la fermeture progressive de tous les
établissements existants et transformer l’offre actuelle de services pour
personnes handicapées en solutions d’accompagnement et de logements de
proximité. La désinstitutionnalisation des enfants handicapés doit constituer
une priorité politique ».
Les exhortations de la
Rapporteuse, pour certaines radicales, se heurtent aux modèles de pensée et
d’action présents dans les politiques et la clinique auprès des personnes en
situation de handicap en France. Mais on ne peut ignorer ces exhortations, ni
en faire le déni sous le prétexte qu’elles ne sont que le fait d’une idéologie
qui n’a rien à voir avec les réalités de terrain. Cette réalité de terrain est
d’ailleurs de son côté construite dans et par les représentations, domaine de
l’idéologie par excellence, que s’en font les professionnels et les acteurs
décisionnels.
Il faut toutefois garder
une vigilance quant aux évolutions à venir. Il ne faudrait pas que certains
dispositifs qui ajouteraient des droits aux personnes en situation de handicap
se mettent en place au détriment d’un retrait d’autres droits dont sont
actuellement bénéficiaires ces personnes : l’institution, si elle sépare
et isole effectivement, protège aussi parfois et dans certaines circonstances.
Une désinstitutionnalisation forcenée et immédiate pourrait aboutir à la
négation de certains droits dans l’état organisationnel des établissements et
dans la représentation actuelle que se fait la société quant à la situation des
personnes en situation de handicap. Cependant cette réserve ne doit pas
empêcher de réfléchir aux évolutions nécessaires indiquées dans les
préconisations de la Rapporteuse.
Même si celle-ci prend
acte de certaines évolutions significatives en France (de nombreux exemples
émaillent le texte de la conférence de presse), la Rapporteuse n’en estime pas
moins que le pays est encore loin de l’égalité des droits des personnes
handicapées et que la France doit engager des transformations profondes.
Peut-être les choses auront-elles changé d’ici le rapport définitif en mars
2019 ?
Le 30 octobre 2017
accéder aux observations préliminaires
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