L'entrée dans la carrière de la déficience
En cette rentrée il y a quelques années, il m’échut en
responsabilité un des dispositifs de l’établissement. Il s’agissait d’un des dispositifs
de l’unité d’enseignement externalisée en collège, accueillant des jeunes
présentant des troubles des apprentissages, plus spécifiquement des troubles
sévères du langage. Dans ce dispositif comprenant une douzaine de jeunes, trois
ou quatre étaient nouveaux en cette rentrée, orientés par la MDPH, et donc non
connus des professionnels, en dehors d’une visite familiale et d’une journée ou
d’une demie journée d’observation dans la classe en fin d’année scolaire
précédente. Les premières réunions de l’équipe pluridisciplinaire du dispositif
étaient consacrées en partie à la prise de connaissance de ces nouveaux élèves.
La lecture du dossier nous fit tout connaitre : le
déroulement de la grossesse, le degré de prématurité, les premières
observations du carnet de santé, les observations des médecins de PMI sur la
posture sociale de la famille, les indications sur les premiers développements
(la marche, la propreté, le langage…), les premières expériences scolaires, les
premiers signes (déjà des symptômes) des difficultés scolaires, les maladies
infantiles, les maladies du papa ou de la maman, les premières inquiétudes de
la maîtresse de CP et les préoccupations des autres maîtres les années
suivantes, les interventions de l’orthophoniste, la démarche auprès de centre
du langage et les conclusions de celui-ci, et bien d’autres choses
encore ! Et bien sûr le diagnostic, assorti de prescriptions injonctives
du type : « Il a une dysphasie du type phonologico-receptif, donc il
lui faut de la psychomotricité. »
Présentée par un médecin, porteur de l’aura de savoir, de
compétence et de scientificité attachée à la profession et au statut, validée
par un vocabulaire savant (« anamnèse », cela fait plus scientifique
que « parcours »), le regard sur l’enfant devient un regard sur un
patient pour toute l’équipe qui aura à travailler avec lui. Le dossier médical,
et le discours qui l’accompagne, sans compter le secret ( !) éponyme,
oblitère la situation de la personne pour caractériser celle-ci comme objet
médical.
Ce type de présentation est l’onction par laquelle un enfant
qui a des problèmes ou des difficultés entre dans la carrière institutionnelle
(et personnelle) d’un enfant avec trouble ou déficience, aux yeux de son
entourage professionnel et à ses propres yeux. Sa vie quotidienne sera lue à
travers le filtre de l’anamnèse, instituée comme clé de lecture et manuel de
compréhension de sa vie. Tout son comportement, toutes les difficultés qui
seront observées, seront des réponses attendues au regard de ce que la
« science » aura fixé comme caractéristiques du troubles (et non du
jeune). Cette carrière est validée par ailleurs par la visite médicale,
première étape incontournable de l’admission, mais dont l’utilité pourrait être
interrogée (en quoi serait-elle incontournable ?).
On est bien loin d’ici d’une approche systémique des
situations de handicap : c’est la déficience qui définit encore la
personne, comme un invariant structurel réduisant la vie à une cause
déficitaire.
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