Troubles et production du handicap
Les déficiences et les incapacités ont été établies comme l’un des facteurs de la production des situations de handicap, en interaction avec les caractéristiques de l’environnement. Longtemps, elles furent les seuls facteurs à prendre en considération (approche biomédicale). Dans une période plus récente, la notion de trouble(s) s’est étendue à un nombre considérable et de plus en plus important de situations individuelles de difficultés ou d’incapacités. Cependant elle s’est instaurée comme facteur de production de handicap en excluant généralement les caractéristiques de l’environnement comme facteur ou cause de la production des situations de handicap. Cette manière d’expliquer les choses, à savoir l’attribution du handicap au trouble identifié dans la personne, permet-elle de mieux comprendre, expliquer et réponde aux difficultés rencontrées par les personnes à qui sont attribués les dits troubles ? Il semblerait au contraire que la généralisation de cette notion ne fait que renforcer une approche biomédicale, qui attribue le handicap aux caractéristiques personnelles (corporelles, génétiques ou neurologiques) des personnes ayant ces troubles, sans prendre en compte d’autres facteurs producteurs, dans une perspective écosystémique, des situations de handicap, contribuant ainsi à un mouvement de médicalisation des phénomènes sociaux.
Par ailleurs, ce basculement de l’explication des
difficultés ou de la situation de handicap d’un élève à l’école vers des caractérisations
appartenant à celui qui est concerné fait de celui-ci un cas particulier,
singulier, hors normes, étrange, relevant d’un dysfonctionnement de nature.
Plus généralement, la prise en considération de la situation d’un enfant en
difficultés, quelles qu’elles soient, par rapport aux apprentissages scolaires,
en termes de troubles induit, chez les enseignants en particulier, une
problématique de réponse individuelle, particulariste, et non structurelle. On
s’adapte à l’élève, mais on n’adapte pas sa pédagogie (conception universelle de
l’apprentissage). Et même plus, il devient logique que les réponses éducatives à
des troubles appartiennent à des spécialistes, externes à l’école, qui savent
soigner et guérir. Et que la pédagogie concernant ces enfants soit quelque peu
spécialisée.
Si je présente Elodie, 8 ans, à son enseignant·e, comme une
enfant ayant un trouble du langage, des apprentissages ou spectre de l’autisme,
il ou elle, s’il agit en professionnel, va tenter de s’adapter au cas
particulier d’Elodie, par empathie, compassion ou conscience professionnelle.
Il ou elle va lui trouver une place particulière, lui donner des supports
particuliers, aménager son rythme de travail, peut-être même la prendre en
soutien. Mais il ne s’agira là que de réponses singulières, qu’il ou elle sera
dans l’incapacité de mettre en place pour vingt singularités. Le trouble
appartenant à Elodie, c’est à Elodie qu’il faut donner le traitement pédagogique.
Heureusement, va-t-il se dire qu’il n’y a pas plusieurs Elodie dans la classe,
avec des troubles et des traitements pédagogiques particuliers !
Renvoyant la problématique pédagogique sur Elodie et les
traitements à lui donner, il ou elle n’a nul besoin de s’interroger sur ses
pratiques pédagogiques et didactiques générales, pour tous, qui sont exclues
comme étant des facteurs possibles des difficultés (au moins en partie) des
troubles concernés. A défaut de penser son enseignement (des programmes qui
s’imposent à lui aux attitudes qu’il peut avoir) pour que tous réussissent à
faire des apprentissages et soient heureux d’apprendre (conception
universelle), il ou elle ne pourra procéder qu’à des aménagements sans fin et
insatisfaisants pour Elodie, dont on a décrété la particularité par un
diagnostic de trouble. Et renvoyer la réponse aux problématiques d’Elodie à des
spécialistes, en dehors de l’école, qui pourront la soigner.
Il n’est par conséquent pas certain que la notion de trouble
favorise une école inclusive.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire