Pour en finir avec l'habitat inclusif - Sociologie d'une forclusion
de Jean-Luc CHARLOT, L'Harmattan, 2022
Avec un tel titre d’ouvrage, on peut attendre de l'auteur
une analyse critique de la manière dont est conçu, pensé, organisé et mis en
œuvre l'habitat inclusif dans les politiques publiques. La question de
l'habitat (dans lequel il y a lieu de distinguer deux réalités : habiter
et se loger) est une problématique relativement récente : les personnes en
situation de handicap étaient auparavant logées dans des lieux spécialisés, où
elles se retrouvaient entre elles dans des conditions où leurs droits, y
compris celui d’habiter, n'étaient pas toujours respectés. Avec le
développement de la notion d'inclusion et de l'accès aux droits, il a été
question pour elles d’habiter, comme chacun peut habiter quelque part, origine
du développement de la question de l’habitat inclusif.
Dans le chapitre II, J-L Charlot cherche les raisons de
cette évolution, qui semble consensuelle, et fait l’hypothèse de ce qu’il nomme
des impensés, à même d’expliquer et de justifier les modalités ainsi retenues. Le
premier impensé concerne la représentation et l’imaginaire sur les personnes
handicapées, dont il est supposé qu’il faille craindre l’isolement, que les
personnes ont besoin d’être avec des semblables, etc. Mais « il ne
suffit pas d’être en situation de handicap pour se trouver des affinités électives
avec de supposés semblables. » (p.51) Cet impensé, ainsi que celui de
l’inclusif, est bien ancré dans la mise en place de la politique publique de
l’habitat inclusif. « L’impensé de la pertinence du regroupement de
personnes supposées semblables du fait de leur situation de handicap et de leur
supposée propension à se reconnaitre comme « pair ». On ne peut
s’empêcher de considérer qu’existe là comme une paresse de pensée et comme le
prolongement de l’organisation de la prise en charge des personnes handicapées
dans la société française, selon le modèle individuel ou médical qui s’est
traduit par une offre de services et d’établissements orientés sur un type de
déficience. » (p.59)
Enfin, dans le dernier chapitre, J-L Charlot dresse quelques
perspectives pour « s’évader de la forclusion » du mécanisme qui fait
de l’habitat partagé LA solution de l’habitat inclusif des personnes en
situation de handicap, « s’évader d’un imaginaire et d’un dispositif
législatif et réglementaire qui conditionnent le « comment » des vies
de ceux qui intègrent des habitats inclusifs » (p.64). Il propose
ainsi quatre pistes. S’évader de cette forclusion nécessite tout d’abord de
re-penser ce qu’habiter
veut dire et les conditions qui vont le permettre afin
d’avoir un véritable chez soi, comme tout un chacun. Trop souvent, l’habitat
inclusif n’est envisagé que comme nouveau mode d’hébergement, de se loger, des
personnes en situation de handicap. Sans réfléchir à tout ce que veut dire
« avoir un chez soi », en termes d’intimité, de choix d’aménagements,
de soustraction aux regards… Cela nécessite aussi de « bricoler
localement des solutions en lieu et place de la duplication de modèles imposés
par les prescriptions de la catégorie d’action publique « habitat inclusif »
(p.79). Bien évidemment, cela nécessite aussi « de faire avec les
personnes concernées par les projets d’habitat inclusif plutôt que pour elles »
(p.85). Et enfin cela nécessite de mettre en œuvre une autre politique
publique.
Extrait de la présentation
Depuis 2016, l’Etat et ses administrations ont façonné
une nouvelle catégorie d'action publique, dénommée « habitat inclusif ».
Porté par le mot d'ordre de la « société inclusive » l'habitat
inclusif impose progressivement aux personnes en situation de handicap un mode
de vie parmi une pluralité d'autres possibles.
c'est à la compréhension de ce mécanisme de forclusion
qu'est consacré ce court essai. Ainsi qu’au dévoilement des principaux impensés
de cette politique dans sa conception imparfaite de ce que pourrait être
l'inclusion.
Il propose enfin d'autres perspectives afin d'envisager l’habiter
des personnes en situation de handicap comme l'opportunité de ne plus penser et
agir en termes spécifiques pour des groupes de personnes tenus pour singuliers.
Et de faire de l'habitat une manière de s'appliquer à humaniser la vie pour tous,
à partir du principe universel d'accessibilité et du concept de qualité de vie.
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