L'inclusion, vue du côté financier
article publié dans LIEN SOCIAL, n° 1331, 17 janvier 2023
Un rapport sur « la scolarisation des enfants en
situation de handicap », remis en avril 2022, vient d’être publié en
ce début décembre, sous l’égide de l’Inspection Générale de l’Education, du
Sport et de la Recherche. Curieusement, à la lecture du nom et des
qualifications des rédacteurs, on ne manque pas d’être étonné : quatre des
six rédacteurs sont issus du monde des inspecteurs des finances. Le ton est
donné. Il s’agit là sans doute d’une bonne indication et de la confirmation
d’une évolution des idéologies politiques dominantes : désormais, tous les
secteurs de la vie citoyenne sont mesurés à l’aune de leurs coûts, de la
gestion et de la comptabilité, et des économies à réaliser.
Les valeurs, longtemps débattues il y a vingt ans, qui présidaient à la loi de 2005 et à la volonté inclusive concernant les enfants en situation de handicap à l’école, ces valeurs également promues dans différents textes internationaux (convention des droits des personnes handicapées, ONU, 2006), sont jugées, et « ignorées » à l’aune de leur coût financier. Le droit à l’école, avec ce qui est nécessaire pour y accéder, devient illégitime dès lors que cela devient « trop cher ».
Faut-il rappeler que ce sont les mêmes « experts »
de la finance (les représentants de la même idéologie politique dominante) qui
ont pensé que la diminution des médecins allait à la fois diminuer les coûts de
la Sécurité sociale et les besoins de soins. Sans envisager, dans leur modèle
économique dogmatique, les futurs déserts médicaux qu’on connait aujourd’hui.
Les mêmes qui ont supprimé un nombre faramineux de lits à l’hôpital,
restructuré et fermé des services, dégradé les conditions d’exercice des professionnels,
en déclarant et prétextant une amélioration des soins et du système de santé
(il n’est que de relire la loi HPST, Hôpital Patient, Sant Territoire, 2009,
pour se féliciter des belles intentions de la loi). Sans anticiper ce que l’on
peut observer du système hospitalier public dans son fonctionnement
aujourd’hui : manque de lits, manque de professionnels, manque de produits,
désorganisation, parcours de soins détérioré, augmentation des morts… La liste
des dégâts de ces approches financières sur les services publics et sur les
biens communs pourrait s’allonger indéfiniment.
Derrière un discours plein de bonnes intentions, très
politiquement (et peut-être hypocritement) correct, en vue d’un meilleur
fonctionnement et de meilleurs services en faveur des élèves en situation de
handicap, les mesures comportent des risques de régression importante sur
l’effectivité des droits à une scolarisation de qualité pour certains des
élèves concernés.
Les rapporteurs craignent (et soupçonnent) que les
compensations mises en place, telles que les AESH, ne le soient en réalité pour
de fausses raisons, à savoir des facteurs sociaux (comme la précarité sociale)
qui n’auraient rien à voir avec le vrai handicap. Vieille crainte, vieux
soupçon ! Est donc remise en cause la légitimité de la reconnaissance du
handicap par les MDPH. L’idée que les situations de handicap soient complexes
et multifactorielles ne semble pas effleurer les rédacteurs, et la précarité
sociale est dans bien des cas un sur-facteur de handicap. Pas question pour eux
d’envisager bien sûr un « traitement » de ces multi-facteurs, de
proposer des solutions pour atténuer les obstacles installés par ces facteurs.
Diminuer la précarité sociale pour améliorer l’efficience d’une école inclusive
ne semble pas appartenir à la vision financière du problème ! La solution
est plus simple : il suffit de donner à l’Education nationale le pouvoir
de déterminer le problème et la réponse au problème (chapitre 2.2.2 :
« la place de l’expertise dans l’instruction et la décision relatives à
l’accompagnement scolaire doit être consolidée ».
Cela signifie-t-il que ce seront désormais les acteurs de
l’école (y compris l’enseignant référent, dont on imagine bien le peu de
liberté et d’initiative qu’il pourra avoir) qui détermineront la nature des
besoins et les modalités de réponses en termes d’accompagnement. Ainsi la
reconnaissance des situations de handicap sera à la mesure des moyens dont
dispose le système éducatif. Cela rappelle furieusement le temps où les mesures
diverses (reconnaissance du handicap, aides techniques et humaines,
aménagements) étaient décidées par les anciennes CCPE et CDES (avant la loi de
2005). Ces mesures étaient décidées sous l’autorité de l’Education nationale en
fonction des moyens dont elle disposait, ainsi que les établissements
médico-sociaux, pour y répondre. La création des MDPH avait pour objectif de
sortir de ces considérations, d’objectiver en quelque sorte le handicap indépendamment
des moyens : un enfant est handicapé, quelques soient les moyens mis en
œuvre. Le rapport propose finalement de
revenir au fonctionnement d’avant 2005. L’intérêt d’une évaluation
pluridisciplinaire, correspondant à toute situation de handicap, disparait au
profit d’une évaluation univoque scolaire. Lorsqu’on connait l’indigence
organisée de l’Education nationale, et les perspectives retenues d’une encore
plus grande indigence, on peut s’inquiéter d’une telle préconisation.
La croissance de l’aide humaine requise hante les
rapporteurs, dans ses conséquence en termes de coûts. Mais entre les lignes, on
perçoit aussi qu’un aide humaine qui augmente et perdure pour la même personne
fait l’objet d’une certaine méfiance : une aide devrait être faite pour
devenir autonome, et sa persistance fait apparaitre la crainte atavique de
l’assistanat. C’est oublier que l’aide humaine est d’abord et avant tout le moyen
d’accéder à des droits fondamentaux, comme celui d’être scolarisés, et qu’elle
est parfois nécessaire sur la durée. Que l’aide humaine ne doive pas être la
seule solution, on peut en convenir. Mais affirmer que l’alternative de
solution se trouve chez les enseignants est une vaste illusion tant les mêmes
promoteurs de cette idéologie dominante s’escriment à dégrader en permanence
les conditions d’exercice de ces enseignants. Oui il y a des solutions pour proposer
un ensemble de solutions liées aux fonctions enseignantes : avoir des
classes de taille raisonnable permettant de mettre en place une pédagogie
différenciée, permettre aux enseignants de s’investir dans des relations
partenariales lorsque des enfants handicapés sont inclus, former ces enseignants
à la pédagogie différenciée en formation initiale et continue, mettre en place
des dispositifs favorisant la « prise en charge » de ces élèves
(réseau d’aides, dispositifs + de maitres que de classes,…), etc. Mais
étonnamment le rapport n’évoque pas ces alternatives, il se contente d’accuser
les enseignants de mal faire leur travail et par conséquent de mal inclure.
De bonnes questions sont pourtant posées : l’école
devient-elle inclusive par le seul moyen des aides humaines (AESH), sans
modifier ses missions, son fonctionnement (il y aurait beaucoup à dire sur l’élitisme
et la croissance des inégalités, obstacles factuels à l’inclusion) ? L’éloignement
d’une approche médicale, maintenant le handicap comme un problème de santé,
serait-il favorisé par un accroissement de l’expertise éducative ? Le
problème est que le contexte dans lequel pourraient se poser ces questions est
d’emblée biaisé par une volonté délibérée de faire baisser les coûts de
l’inclusion, quitte à la jeter aux orties. Il ne faut pas se fier à l’enrobage
discursif des mesures proposées : derrière, c’est la même ferme volonté de
faire primer l’économique sur l’humain et sur les valeurs d’égalité, de justice
et d’émancipation.
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