"Il y a trop d'enfants différents dans ma classe"
« Il y a trop d’enfants différents dans ma classe pour faire de l’inclusion ! » C’est l’obstacle souvent invoqué pour justifier d’une réticence, voire d’un refus, d’élèves en situation de handicap dans la classe, en raison de la lourdeur de la gestion d’un nombre importants « d’enfants différents ». « Vous vous rendez compte, sur les 22 élèves que j’ai dans ma classe, j’ai un TDAH (trouble du déficit de l’attention, avec ou sans hyperactivité). Et il y a Lionel, il n’a pas encore de diagnostic de TDAH, mais je suis sûre que c’en est un. Et j’ai aussi un dyslexique dysphasique, il va chez l’orthophoniste deux fois par semaine. Et puis il y a Chloé, elle est mal-voyante, il y a un service de soutien qui vient à l’école. Et bien sûr Charlotte, c’est une trisomique, elle a une AESH la moitié du temps, elle est gentille. Mais comment voulez-vous que je fasse avec tout ça ? » - « Si je comprends bien, sur les 22 élèves de votre classe, il y en a 5 qui sont différents ? » - « Oui, c’est ça. » - « Mais les 5 différents, ils sont différents parce qu’ils ont un handicap ? » - « Oui » - « Et les autres alors, les 17, ils ne sont pas différents, ils sont tous pareils ? » - « Heu… Pas tout à fait quand même… Tenez, il y a aussi Henri, il est HPI (Haut potentiel intellectuel), quelquefois il met le bazar. » - « Mais les 16 autres, ils sont donc tous pareils ? » - « Heu… ». Ce dialogue, imaginaire, est toutefois basé sur des propos entendus ou échangés « pour de vrai ».
Les notions de différence, ou d’enfants différents, avaient
émergé avec de bonnes raisons, celles de supprimer la stigmatisation des notions
de déficiences ou de handicap. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il y a bien un
glissement de terminologie, sans que pour autant il y ait eu de changement de signification.
Le terme « différent » désigne, avec tout autant de stigmatisation,
les enfants déficients ou handicapés. Ils sont désormais différents, mais
restent cantonnés à une catégorie qui auparavant se nommait déficience ou
handicap. La différence qui, en principe, mettait tous à égalité de
« statut » sert en définitive à distinguer ceux qui ont certaines
caractéristiques socialement identifiées comme hors des normes. La notion
d’« élèves à besoins particuliers » a connu le même sort.
On voit bien, dans les échanges ci-dessus, comment la
catégorie « différents » se construit hors de toute rationalité.
Tout simplement parce qu’elle institue une catégorie, et en ce sens, instaure
une frontière artificielle (construite socialement) dans une population donnée.
Parmi ces 22 élèves, pour quelles raisons mettre une frontière à partir de
quelques caractéristiques corporelles (physiques ou psychiques), entre ceux qui
auraient un dysfonctionnement corporel et ceux qui auraient le bon
fonctionnement ? Mais pourquoi ne pas mettre aussi de frontières entre
ceux qui font les apprentissages scolaires dans les temps et formes attendus,
et ceux qui effectuent moins bien ou avec difficultés ces apprentissages, les
anciens « cancres » ? Entre ceux qui adhèrent
« naturellement » aux normes scolaires et ceux qui ont davantage de
difficultés à s’y conformer ? Entre ceux qui ont des ressources
économiques et culturelles et ceux qui n’en ont pas (cette frontière existe
pourtant dans l’organisation scolaire française) ? Entre ceux qui ont une
peau claire et ceux qui la peau moins claire ? Quelle que soit la
frontière mise, il y a discrimination.
C’est parce qu’il y a une frontière socialement instituée,
celle de déficients/handicapés/différents que les enfants concernés par la
catégorisation ont du mal à trouver leur place à l’école. Mais par exemple, les
élèves n’entrant pas spécifiquement dans cette catégorisation, des enfants en
grande difficulté ou en échec, sont également des enfants
« différents » relativement à ce qui est attendu d’une norme
d’apprentissage, d’un idéal type d’élève moyen. Renoncer à l’idéal type d’élève
moyen et considérer la totalité des élèves comme différents les uns des autres,
c’est-à-dire singuliers, constitueraient des pistes de réflexion et d’action
pour transformer l’école d’aujourd’hui en école inclusive.
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